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De la tête aux pieds
29 avril 2013

Réflexions autour de la gestion mentale de la précision sportive

Atteindre une cible

Lorsque l’on veut atteindre une cible avec un projectile, on ne peut rattraper son erreur une fois que le sujet a perdu le contact avec celui-ci. Une fois lancé, on ne peut plus rien faire. L’effet de l’acte n’appartient plus à son auteur.  Ainsi, on peut se demander comment l’homme peut arriver à avoir une coïncidence entre un jet d’un projectile et une cible ? Comment développe-t-il sa précision ? Être précis, ce n’est pas réussir une fois une coïncidence, c’est avoir un pourcentage élevé de réussite. Ce pourcentage se gagne-t-il par la répétition uniquement ? En s’entraînant. On le voit chez les sportifs professionnels qui s’entraînent très régulièrement. Les joueurs de tennis sont capables de servir près de 80%  de premières balles. Les basketteurs ont la même réussite aux lancers francs. 8 lancers sur  10. Les biathlètes (ski de fond et tir à la carabine) tirent dans une cible grande comme une balle de ping-pong située à 50m à 15 reprises après avoir fait des efforts physiques importants. Pour expliquer une telle efficacité de ces personnes, on en conclut : c’est normal, ils s’entraînent. Donc, en répétant, on serait sûr de devenir précis.

basket

Mais on peut se demander ce qui amène une personne à modifier ses actions. C’est le geste qui détermine la trajectoire du projectile. Donc si la trajectoire n’est pas adéquate, c’est que le geste doit être modifié. Est-ce que ce geste se modifie inconsciemment sous l’effet du désir de la personne d’atteindre la cible ? Ce qui différencierait la plus ou moins grande réussite, ce serait la force du désir et la répétition (les deux étant liés :  plus je désire, plus je reprends mon acte). Imaginons une personne lancer un ballon de basket dans un panier. Il tire à gauche de l’anneau. Lors d’un second tir, il réussit. Lors de cette tentative, son mouvement n’a pas été le même. Il a orienté sa main davantage vers la droite. Est-ce que cette modification s’est produite à l’insu du sujet ? La gestion de la motricité humaine serait complètement inconsciente et serait orientée uniquement par les représentations de buts du sujet. Donc dans le cas précédent, ce n’est pas le sujet qui aurait décidé de déplacer sa main vers la droite mais le corps lui-même. On en viendrait à une certaine absurdité.

Si on estime que les ajustements corporels sont du domaine de l’inconscient et qu’il s’agit de mécanismes autonomes juste déclenchés par le but que le sujet s’assigne, c’est que l’on n’a peut être jamais fait retour sur notre responsabilité dans le contrôle moteur. Nous pensons que nous pouvons développer consciemment notre responsabilité en prenant en main les processus adaptatifs. Le contrôle de nos évocations et la mise en place de certains projets de sens sont  les moyens à mettre en œuvre pour développer une efficacité dans la précision sportive.

Un expérience personnelle a confirmé cette hypothèse. Ce vécu de gestion mentale constitue le cœur du projet de notre mouvement humaniste. Le premier temps d’un travail avec une personne est de lui faire prendre conscience des moyens dont il dispose dans le but de les investir dans les domaines de son choix. Le deuxième temps est le moment de l’autonomie où il expérimente ses découvertes.

Cette expérience se situe dans cette deuxième phase. J’ai voulu expérimenter mes connaissances de la gestion mentale dans un domaine pour moi inconnu : le lancer franc au basket-ball. J’étais parti avec l’intention de me parler toutes mes actions, tous mes placements et d’opérer des changements en fonction des résultats de mes productions.

Je me parlais d’abord avec une grande précision mes placements par rapport aux lignes, et par rapport au panier de basket avec le projet de les changer suivant mes résultats. Par exemple, je me disais : « Mon pouce droit doit être aligné avec l’angle gauche du carré noir du panneau ; mon pied droit en avant du gauche juste derrière la ligne ». Si je lançais trop à gauche, alors je déplaçais par exemple le repère de mon pouce vers la droite ou bien la position de mes pieds. Et ainsi de suite pour obtenir une direction parfaite. Je conservais les mêmes repères lancer après lancer. Au bout d’un moment je n’avais plus à y penser.

Ensuite pour la distance du lancer, il y avait trois étapes. Tout d’abord une étape d’identification. Comment est mon lancer ? Trop fort ou pas assez fort ? Lors de la deuxième phase, je repense à la puissance que je viens de mettre dans mon lancer. Cela se situe au niveau des bras et des jambes. Enfin je me dis plus fort ou moins fort en ressentant l’énergie que je devais mettre au final. Lorsque je trouve la puissance juste après une réussite, je reproduis mentalement avant de lancer le mouvement qui a fait ses preuves.

Un troisième aspect que je pouvais gérer est celui de la hauteur du lancer. Si la trajectoire était trop tendue et venait buter directement en avant de l’anneau alors je cherchais à arrondir la trajectoire. La stratégie était la même et consistait à modifier la position de ma main derrière le ballon et l’orientation de la poussée.

Cette stratégie est basée sur une gestion des aspects statiques (mon corps par rapport à l’environnement) et des aspects dynamiques. Il y a tout d’abord une identification et une mémorisation des repères avec le projet de les modifier en fonction de l’effet du mouvement sur la trajectoire de la balle. Avant chaque lancer, j’évoquais l’ensemble des repères de façon verbale et kinesthésique. La verbalisation correspondait aux repères statiques, l’évocation kinesthésique concernait le mouvement lui-même. La récurrence de la réussite favorisait le passage à un niveau inconscient de ces repères ; je n’avais plus à me les donner. Les échecs pouvaient m’amener à reprendre le contrôle des paramètres du mouvement. Souvent, la fatigue pouvait être la cause de la modification de la conduite de l’habileté.

Je fus très surpris de voir une réussite de 80 à 90%. J’ai effectué une expérience similaire en tennis avec une réussite tout aussi élevée.

Ce qui est intéressant, c’est que la précision redevient assez rapidement récurrente après un laps de temps sans pratique. Le corps garde en mémoire tous nos actes volontaires et automatisés. Ils font partie d’un répertoire de réponses possibles à utiliser pour s’adapter à des situations motrices. Cependant je vous ai fait part d’un fonctionnement qui m’était propre. Il existe peut-être d’autres aspects à mettre en œuvre dont je n’ai pas conscience. Mais j’ai cherché à montrer que le développement et l’acquisition d’une habileté pouvait se décrire et se conduire par des stratégies mentales en puissance chez tous.

tir pistolet

Pourquoi les grands champions ne nous livreraient pas les stratégies mentales qu’ils mettent en œuvre pour  exceller ? La notion de champion trouverait tout son sens. Aider tous et chacun à se dépasser. Aujourd’hui, le champion est là pour sa gloire personnelle, c’est-à-dire pour faire valoir son moi, pour faire du spectacle et générer du revenu. Au niveau politique, par le jeu des identifications, le champion constitue un moyen d’endormir la masse et de lui faire accepter leur situation en leur donnant l’illusion de la réussite. Il a gagné, j’ai gagné. On se sert de la masse et on l’asservit mais on ne la sert pas. Le sens du champion est de servir l’autre en montrant ce dont l’homme est capable, comment il peut révéler des ressources et des capacités inédites mais possibles qui sont présentes chez tous. Le champion n’est pas un dieu inaccessible. Mais on veut nous en donner l’impression. Il y croit peut-être et c’est peut-être pour cela qu’il ne pense pas qu’il peut nous révéler ses projets de sens et ses stratégies. En outre, nous sommes dans une situation compétitive, il faut que tout cela demeure caché, inaccessible aux possibles rivaux. Il faut protéger ses acquis. Mais se considérer comme l’a bien formulé Paul Ricœur « tout comme un autre » permettrait de donner une autre dimension à la pratique sportive professionnelle. Que sert le champion ? L’illusion d’avoir un moi supérieur (avec tous les avantages que cela m‘octroie), la société mercantile ou bien l’autre ? Vouloir être un champion, c’est vouloir faire profiter à tous des moyens d’accéder au dépassement au développement de soi, la voie du bonheur d’être. Nous dirions que ce projet de sens est une condition pour accéder au meilleur de soi-même, c’est-à-dire que pour atteindre le plus haut niveau d’expression de soi, il faut avoir dépassé la recherche de plaisir d’état (médailles, honneurs, etc.) et rechercher les plaisirs d’actes et avoir des projets de progrès. Le projet de progrès conduit au partage et à donner du sens à la notion de communauté.

Cet article fut l’occasion de montrer que la voie du progrès peut se décrire et se transmettre. En espérant qu’il invite d’autres qui excellent dans un domaine de nous livrer leur itinéraire mental.

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Commentaires
C
je viens de lire: très intéressant! Merci! cela parle aussi à la psychomotricienne que je suis...
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