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De la tête aux pieds

10 octobre 2020

gestion mentale et didactique de l'EPS

A mon grand père

 

A la source de sa pédagogie de la liberté, son amour pour les êtres humains.

 

« Dans un conditionnement, on entend tout fournir ; dans une proposition, on appelle une réponse, un engagement de ressources, qui ont leur siège chez celui à qui on s’adresse. » Antoine de la GaranderieComprendre les chemins de la connaissance. Une pédagogie du sens, Lyon, Chronique sociale 2002 page 46

 

L’intégration des concepts de la gestion mentale dans la didactique des disciplines : la question de la liberté

 

 

Introduction..................................................................................................................... 2

Conception de la liberté.............................................................................................. 3

Didactique en EPS & Liberté..................................................................................... 4

Didactique de la motivation en EPS..................................................................... 4

Enseignement des techniques............................................................................... 5

Observer ou surveiller.............................................................................................. 7

Evaluation et liberté.................................................................................................. 7

L’éthique en amont de la didactique..................................................................... 9

Une éthique de la relation à l’élève...................................................................... 9

Didactique et liberté de l’enseignant............................................................... 11

Liberté de l’enseignant par rapport à sa hiérarchie............................... 11

Liberté de l’enseignant par rapport à lui-même : se connaitre......... 12

Liberté et discipline.................................................................................................... 14

Règle et exigence...................................................................................................... 14

Limiter l’élève, lui donner des limites............................................................. 15

Dire non à l’élève...................................................................................................... 15

Anticiper plutôt que reprendre, le projet plutôt que la morale............. 15

Limites à la liberté de l’élève.................................................................................. 16

Conclusion...................................................................................................................... 17

Bibliographie................................................................................................................. 17

 

 

Introduction

L’œuvre pédagogique d’Antoine de la Garanderie est reconnue dans le monde entier et le milieu de l’éducation en connaît au moins l’existence. Bon nombre de professeurs ont déjà bénéficié d’une sensibilisation à ses concepts. Cependant une question revient souvent chez les formateurs en gestion mentale : pourquoi cette pédagogie n’est-elle pas davantage prise en compte par l’Education Nationale ? Pourquoi les jeunes ne bénéficient-ils pas des connaissances mises au jour par Antoine de la Garanderie ? On peut en effet légitimement se demander si cette théorie des gestes mentaux est applicable dans nos écoles françaises : ne concerne-t-elle que les élèves en difficulté, par le biais de rééducations individuelles ? Peut-elle véritablement s’inscrire dans un enseignement collectif ? La gestion mentale peut-elle être prise en compte dans les didactiques des disciplines ? Est-il si difficile de l’utiliser dans nos classes en France, et pour quelles raisons ?

Cette difficulté à s’implanter dans la didactique au quotidien peut s’expliquer à mon sens à deux niveaux. Tout d’abord, il existe encore trop peu de témoignages de professeurs ayant mis en pratique cette pédagogie. On a besoin de savoir comment faire concrètement pour la mettre en œuvre. Comment s’organiser pour la faire vivre ? Le passage de la théorie à la pratique en classe doit être favorisé par des témoignages de professeurs qui s’y sont risqué afin d’inspirer et d’encourager ceux qui en auraient envie. Si l’enseignant bien que séduit et convaincu, ne se sent pas assez armé, la crainte pourra le conduire à abandonner.

Ensuite, l’ambiance « contrôlante » de l’école constitue un sérieux frein à l’épanouissement de cette pédagogie. La liberté des élèves y est étroitement surveillée et souvent niée. Elle est dangereuse, menaçante. Il est vrai que certains élèves n’ont aucun contrôle sur leurs actions et leurs paroles, laissant libre cours au moindre projet naissant dans leur conscience ; cela incite à vouloir contrôler et encadrer leurs comportements. Aussi, on va encadrer les élèves par des consignes, devoirs à faire, règlements à respecter, sanctions à appliquer. La morale reste très présente. Les analyses de Michel Foucault semblent malheureusement toujours d’actualité. Un tel contexte n’est pas favorable à la gestion mentale, qui a besoin de la liberté pour s’exercer.

 

La gestion mentale est en effet indissociable du principe de liberté : elle est une pédagogie de la liberté et productrice de liberté. Pédagogie de la liberté, car la gestion mentale est refus du conditionnement, exigence de ne pas nuire, elle est discrétion. L’autorité du professeur ne se situe pas sa capacité à « tenir » l’élève mais dans sa capacité à renoncer à tout pouvoir sur l’autre, à reconnaître et à accepter son impuissance. Aussi, ses stratégies pour guider l’élève vers les apprentissages vont être de susciter, d’inciter, d’encourager, de donner envie, de proposer… Ce ne sont pas des stratégies de menaces et de chantage. Ce sont des stratégies de sens pour l’élève.

Nous concevons également la liberté en aval de la gestion mentale, car elle est production de liberté, elle est libérante. Antoine de la Garanderie parlait de libération. La gestion mentale libère le sujet des projets de sens qui l’enferment et des moyens d’apprendre dont il n’a pas conscience.

 

Dans son principe, la gestion mentale reconnait que l’acte d’apprendre dépend entièrement de celui qui apprend. Les actions cognitives sont menées par la personne et non pas menantes. La personne évoque ce qu’elle perçoit parce qu’elle s’en est donnée implicitement ou explicitement le projet. Sans cela, pas d’activité cognitive. Les évocations sont nécessaires à l’apprentissage et nul autre que la personne ne peut les initier et les gérer.

 

Quiconque voudrait « faire de la gestion mentale » ne pourrait le faire sans une considération de la liberté. N’utilise-t-on pas cette pédagogie parce qu’on respecte la liberté des élèves ?

 

Le texte qui va suivre répond à cette question de la mise en œuvre de la gestion mentale dans une didactique scolaire et décrit comment la liberté des élèves peut être respectée et promue en toute sécurité à l’école. Professeur d’EPS depuis près de 25 ans, utilisant la gestion mentale dans mes cours, je me propose d’apporter mon témoignage. Je vais ainsi décrire comment la gestion mentale et la liberté s’inscrivent dans ma démarche didactique en EPS, c’est-à-dire comment ma réflexion pour rendre enseignables les activités physiques et sportives est influencée par cette pédagogie.

 

Mon ambition n’est pas d’ordre théorique. Je souhaite témoigner d’une pratique, fruit d’un cheminement personnel et professionnel. J’emploierai donc la première personne. Ma didactique est un exemple et non un modèle. Je décris ici une didactique et non la didactique. Une didactique on ne la copie pas, on s’en inspire. Il peut y avoir d’autres conceptions, d’autres voies que la mienne tout aussi valable et même plus efficace. Considérer sa didactique comme la seule voie qui mène vers la réussite est une attitude liberticide.

Conception de la liberté

Je voudrais tout d’abord préciser ce que j’entends par liberté.

Pour commencer, je rapprocherai la liberté de la motivation. Etre motivé, c’est être porté par des raisons internes, des finalités personnelles et non déterminé par l’extérieur. Mais cette motivation n’est pas instinctive, elle ne recherche pas la satisfaction des pulsions. C’est une motivation portée par le développement de soi tel que le conçoit Antoine de la Garanderie. Il s’agit d’une recherche de plus être. La personne est en cheminement portée par des objectifs personnels.

C’est aussi une motivation animée par le sentiment de se sentir capable de, portée par le sentiment de ses ressources et de posséder les moyens.

Au final, c’est une motivation qui articule des motifs, des finalités, avec la maîtrise de moyens.

Mais être motivé, c’est aussi rechercher du plaisir. Antoine de la Garanderie distingue deux types de plaisirs, les plaisirs d’acte et les plaisirs d’état. Pour lui, le plaisir d’acte est plénier et libère le sentiment de liberté. Il donne le sentiment d’être. Le plaisir d’état, au contraire, rend dépendant. Le psychologue Paul Diel fait la même observation en distinguant les vraies motivations des fausses motivations, celles qui grandissent l’homme de celles qui sont l’émanation de névroses et de compensations.

Antoine de la Garanderie considère que la motivation s’éveille lorsque l’on découvre un infini de progrès dans un domaine culturel. C’est à ce moment-là que l’on s’attache à une activité. C’est dans la recherche de ses progrès que l’on est libre et que l’on devient libre.

Pleinement convaincu par cette réalité et ces potentialités présentes dans tout être humain, mon approche didactique s’attache à initier et à sensibiliser les élèves aux finalités des activités et à donner sens de progrès – et non pas d’obéissance – aux techniques et savoir-faire du corps. L’enjeu est l’éveil au sens.  S’éveiller aux sens des didactiques, c’est s’éveiller à sa propre liberté et à son humanité. L’homme est un être de sens ; si on ambitionne de faire grandir un être, on ne peut faire l’impasse d’une stratégie d’éveil au sens.

 

Deuxièmement, j’entends la liberté comme maitrise de sa volonté. Etre libre, c’est avoir la maîtrise des quatre facteurs de la volonté que sont la décision, la maîtrise de soi, l’initiative et la ténacité. La formation de la volonté est le sens que je donne aux activités physiques et sportives que je fais vivre aux élèves. Avoir la maîtrise de sa volonté, c’est s’offrir les chances de faire dépendre sa vie de soi, les chances d’une motivation sans cesse renouvelée.

 

Ensuite, être libre c’est accepter d’être soi, de laisser parler son soi, sa spontanéité, son authenticité. Cette authenticité peut faire peur et être étouffée. L’individu peut être inhibé, ou se donner un faux self en oubliant ses valeurs et sa différence.

Etre authentique n’est pas donné et représente une vraie difficulté, c’est le fruit d’un travail sur soi. C’est par la maîtrise de sa cognition et de la capacité à se comprendre que le sujet pourra progressivement se libérer de ses déterminismes, de ce qui l’empêche d’être. On peut être enfermé par la peur du regard de l’autre mais aussi par son propre moi. Etre soi plutôt que moi. On peut s’enchaîner dans les autres mais aussi dans son égo. La capacité à s’ouvrir à soi pour les uns et à autrui pour d’autres représente l’enjeu d’une libération.

La gestion mentale est une pédagogie qui favorise le se comprendre et le comprendre autrui, qui éveille au désir de soi et au désir de l’autre. Au-delà de la réussite scolaire, ce sont ces finalités libératrices que je poursuis avec cette pédagogie.

 

Cette conception de la liberté influence le sens que je donne aux apprentissages en EPS, à l’expression de soi que permettent les activités sportives, à l’écoute et au regard sur l’autre que la collectivité suscite et aux relations qui peuvent se tisser dans un cours.

 

J’ajouterai qu’au-delà d’objectifs d’enseignement, l’enjeu de l’école réside dans l’éveil à un  appétit de connaître et dans la formation d’une volonté personnelle. Peu importe le niveau atteint pourvu que l’élève sorte du système scolaire motivé pour se cultiver et armé d’une farouche volonté. Avec ce dynamisme personnel, il pourra atteindre n’importe quel niveau. Il tissera des relations positives avec autrui. Libérons les capacités cognitives, la motivation et la volonté et le reste suivra (le sens civique et le niveau de compétence).

Didactique en EPS & Liberté

Didactique de la motivation en EPS

Je décrirai maintenant deux grands aspects de ma démarche didactique générale.

Tout d’abord mon enseignement a pour vocation de susciter l’envie d’apprendre. Pour cela, cette démarche reprend les différents concepts de la gestion mentale.

L’EPS peut être considérée comme un enseignement de savoir-faire corporels et de savoirs sur le corps en lien avec l’action dans le champ culturel qu’est le sport.

Les techniques sont donc enseignées pour produire de l’efficacité et du progrès pour l’élève en terme de performance. Mais cette recherche de progrès et de performance peut n’être que le désir du professeur. Il faut que ce progrès et cette performance soient désirés par l’élève pour que la technique soit une réponse à un besoin. Avoir le projet de performance et de progresser n’est pas automatique.

 

Pour susciter ce besoin et ce désir de progrès dans la performance, je confronte les élèves aux finalités des activités, à ce qu’on appelle la logique interne de l’activité : sauter le plus loin possible, lancer le plus loin possible, grimper jusqu’au sommet, mettre l’adversaire sur le dos et le maintenir trois secondes au sol, trouver un lieu dans une forêt à l’aide d’une carte, marquer un but de plus à l’équipe de football adverse…

 

Mais confronter les élèves aux finalités n’est pas gage d’attachement à une activité. Il faut que l’élève s’y personnalise et se situe. Il s’y personnalise parce que l’activité est l’occasion de se dépasser, ce qui permet de se sentir, de se sentir être. Antoine de la Garanderie a identifié deux modalités cognitives de dépassement personnel : le record ou la compétition. Dans le premier cas, je me prends comme référence pour me dépasser, dans le second cas, l’autre joue ce rôle.

Ainsi, dans un deuxième temps, je mets en place deux types de dispositifs : un dispositif pour identifier son record et chercher à le dépasser, et un dispositif de compétition. Ces dispositifs sont proposés aux élèves qui sont libres de choisir l’un ou l’autre.

Par exemple, au lancer de javelot, une fiche plantée en terre symbolise la meilleure performance de l’élève, qu’il va déplacer à chaque amélioration.

Au saut en longueur, je peux proposer à ceux qui le souhaitent de se défier sur un saut. L’enjeu est de remporter le plus de victoires possibles. J’organise aussi des compétitions par équipe où la performance individuelle est moins mise en lumière.

Je suis vigilant à ce que la norme et la compétition ne viennent pas donner à l’élève un sentiment d’humiliation. J’essaie de valoriser chaque performance, indépendamment du rapport à la norme.

Les élèves se mobilisent spontanément pour l’un ou l’autre des projets. Pour certains, le projet de record ou de compétition ne change rien à la performance, mais pour d’autres on observe des performances très différentes, jusqu’à 10 mètres au javelot par exemple.

Dans cette séquence, je cherche à ce que les élèves éprouvent des joies de progrès et qu’ils s’attachent à leurs performances. Mais les élèves peuvent rapidement se sentir limités en constatant qu’ils ne progressent plus, je dois rapidement en venir à l’apprentissage de savoir-faire, à l’apprentissage de techniques.

 

Enseignement des techniques

Pour aborder l’apprentissage d’une technique, je propose aux élèves une situation problématique. Par exemple, en lutte, comment retourner sur le dos une personne qui s’est mise sur le ventre ? Je propose ainsi aux élèves des situations de combat réalistes que certaines techniques pourraient résoudre. Dans un premier temps, je leur demande de chercher par eux mêmes ; dans un second temps, je leur propose quelques techniques. Le fait d’avoir cherché et expérimenté des techniques personnelles va permettre de donner à la technique un sens d’efficacité, de solution à un problème, et non pas sens d’obéissance et de contrôle par l’extérieur.

En sprint, si je veux que les élèves s’éveillent à l’importance d’être réactif au signal de départ, je leur propose de comparer leurs performances sur deux courses : une course de 10 mètres sans signal de départ préalable, et une course de 10 mètres avec un signal donné par un starter. La recherche des raisons de la différence de performance va les amener à identifier l’importance de réagir immédiatement au signal et d’anticiper la mise en tension des muscles. Je leur proposerai ensuite des exercices de réactivité.

Pour travailler la position de départ, je leur propose d’expérimenter un premier départ jambes tendues pieds joints, et un second départ jambes semi-fléchies pieds décalés. La différence de performances va les amener à prendre conscience de l’importance de la position de départ sur la performance.

Ensuite, je leur propose l’étude d’une ou plusieurs modalités techniques qu’ils pourront choisir. Par exemple, en lancer de javelot, je peux tenir l’engin soit par le pouce et l’index soit par le pouce et le majeur avec l’index le long de la hampe. En saut en hauteur, je peux soit sauter en fosbury (par le dos), en ciseau ou en ventral. En fosbury, je peux projeter un bras, les deux ou aucun. Je peux privilégier la vitesse de l’élan au détriment de l’impulsion ou le contraire.

En proposant aux élèves différentes techniques avec des variables, j’essaie de leur faire sentir qu’ils sont en amont de la technique. Proposer différentes modalités techniques permet à l’élève de se sentir libre et en amont de la technique, d’avoir le sentiment d’être menant et non pas mené.

 

Après ces temps d’expérimentation qui ont pour fonction de susciter l’envie d’apprendre, on aborde la technique modélisée. On ne l’étudie pas sous la forme de consignes – c’est-à-dire « ce qu’il faut faire ». L’étude se fait d’abord en 3ème personne : on commence par décrire, observer et comprendre un phénomène. La technique doit apparaître aux élèves de façon claire et cohérente.

Je fais une première démonstration en leur demandant d’identifier ce que je fais. Auparavant, je leur donne des projets d’observation : « que font mes bras ? », « que fait ma tête ? ». Je leur demande ensuite de s’exprimer sur ce qu’ils ont observé et de trouver les raisons pour lesquelles, par exemple, je rabats ma tête avant de ramener mes bras vers l’avant en papillon. J’essaie ainsi de nourrir les élèves qui ont besoin d’explication pour pouvoir appliquer. Le but de ce moment d’étude est que la technique n’apparaisse pas comme un faisceau de consignes mais avant tout comme un phénomène efficace.

Après ce temps d’étude, je leur demande d’évoquer le mouvement afin d’avoir un modèle d’exécution dans le but de pouvoir le refaire. Pour cela je refais une démonstration et je décris aussi le geste verbalement en utilisant des verbes d’actions, des adverbes d’intensité en précisant d’une part le moment du déclenchement de l’action en rapport avec l’environnement physique et humain, et d’autre part ce qui peut être ressenti. Là, j’essaie de me placer du point de vue de la première personne.

Les élèves peuvent me demander autant de démonstrations que nécessaire (dans les limites de mes capacités physiques).

Je leur donne ensuite un temps pour évoquer. Il n’est pas rare que des élèves me demandent de refaire une démonstration : ils ont besoin de vérifier, d’avoir une confirmation, ou ont pris en conscience en cherchant à évoquer que certains éléments sont manquants ou flous.

Je peux alors faire un ou deux dialogues pédagogiques dans lesquels je leur demande comment ils ont procédés mentalement. A partir de ce moment, tout reste à faire pour eux. Quand tous se sentent prêts, je leur propose de se lancer dans l’apprentissage. Je les laisse s’exercer où ils le souhaitent, avec qui ils souhaitent, dans un lieu défini au départ.

L’évocation de la technique est une référence qui leur permet de réguler leurs actions et de s’auto-évaluer. Ce retour sur eux-mêmes leur permet d’entretenir un rapport libre avec moi.

Le deuxième axe de ma didactique consiste à me rendre libre (lorsque cela est possible) de certaines tâches comme l’arbitrage ou le relevé des performances pour pouvoir me centrer sur l’accompagnement pédagogique des élèves, notamment par des dialogues pédagogiques. Je privilégie donc l’autogestion et le travail en ateliers parallèles afin que tous les élèves soient occupés. L’ennui est souvent source de désordre.

Observer ou surveiller 

Ce moment où je me place en retrait est aussi réservé à l’observation : je me retiens d’agir pour regarder et accueillir la liberté des élèves, pour les connaître, pour saisir leurs interactions.  J’observe, sans comparer, sans évaluer, sans attente, en oubliant ma didactique. Il peut être tentant d’intervenir en voulant redresser l’autre et ses actions motrices, en voulant gommer toute imperfection en voulant les rendre plus efficaces.

Observer c’est reconnaître l’autre libre. C’est concevoir la séparation, la distance, l’espace entre moi et l’autre, comme dans une posture d’anthropologue. C’est un temps important qui me permet dajuster et de faire progresser ma didactique pour ces élèves-là.

Etre observateur, c’est aussi rendre à l’élève la possession de son temps personnel, nécessaire à tout apprentissage. Il me faut être patient, savoir attendre avant d’interrompre le travail des élèves. J’essaie de sentir le moment opportun où je vais reprendre mon statut d’agent en mettant un terme au travail pour passer à une autre activité.

L’agitation et l’indiscipline sont souvent des appels des élèves au professeur pour lui manifester leur besoin d’être acteur. Les problèmes dans une classe sont souvent le fruit d’un conflit entre des élèves et un professeur qui veulent être des acteurs. Les temps d’enseignement et d’apprentissage ne sont pas assez clarifiés et distingués : qui est l’acteur ? Quand pourrai-je être acteur ? Pour être libre, il faut pouvoir l’être. Il faut en avoir les moyens.

Mais pour observer, il faut un niveau de liberté personnelle suffisant, il faut se débarrasser de ses peurs et de ses identifications. On ne perd pas son autorité dans une posture d’observateur. Au contraire, elle constitue la pierre d’achoppement de l’autorité. Le silence et la discrétion sont parfois plus efficaces que de longs discours et de vains rappels à l’ordre. L’autorité, c’est ce qui autorise…

 

Evaluation et liberté

La didactique de l’évaluation est fortement développée dans les sciences de l’éducation. Il y a une haute technicité des systèmes d’évaluation.  Mais à mon point de vue il manque la pédagogie de l’évaluation. C’est ce qui m’importe dans mon travail. Que l’évaluation soit au service de l’élève, de la prise de conscience de ses progrès et de ses capacités. Elle doit permettre de vivre de la joie de la réussite : une fête. Elle doit donner envie à l’élève de réussir. C’est comme ça que je l’envisage et non pas comme un moment de stress et de peur. En même temps j’accorde peu d’importance à la note en tant que telle. La motivation pour l’action et la culture est plus importante. Le sport est déjà une évaluation. Quand je lance le poids ou lorsque je cours vite, il y a tout un système d’évaluation qui est déjà en cours intrinsèquement à l’activité. .

Mais l’évaluation peut aussi être envisagée comme un moyen de pouvoir sur l’élève et sur le groupe. Pourquoi ? Elle détermine une note, une valeur qui va avoir une incidence sur les prises de décisions pour l’orientation de l’avenir de l’élève : redoublement, choix des séries, obtention d’un diplôme ; accès à des formations, mention,…L’évaluation prend la place de la pédagogie. C’est par elle que l’élève se voit contraint d’apprendre. C’est le raccourci de la pédagogie. C’est un moyen de faire faire aux élèves des apprentissages dont ils n’ont pas envie. L’élève se trouve la plupart du temps plongé dans un océan de stress et d’anxiété. Le savoir n’est pas au service de son plaisir de connaître. Il est au service du pouvoir. Comment l’évaluation peut prendre la forme d’un pouvoir ?

Tout d’abord en rendant incertain l’avenir : Quand l’évaluation tombera ? Sur quoi va-t-elle porter ? Quels sont les critères ?

Souvent les critères ne sont pas annoncés. L’élève ne sait pas comment il peut avoir une bonne note. Il ne connaît pas les attentes. C’est le meilleur moyen de  sentir que ce n’est pas lui qui a le pouvoir mais l’institution. D’ailleurs l’institution fait tout pour ne pas objectiver les critères et se ranger derrière. Il est incroyable de constater la résistance de toutes les écoles dans lesquelles je suis passé à la proposition d’adopter le modèle universitaire pour l’attribution des mentions à chaque trimestre. Tu as telle moyenne tu obtiens telle mention sans prendre en compte le comportement. On pense que la possibilité de sanctionner l’élève va amener l’élève à se contrôler. La menace et la récompense sont des moyens pédagogiques bien rudimentaires et archaïques. Il y a fort à parier que des critères précis et objectifs motiveraient davantage les élèves. On va me dire que le bavardage et le mauvais esprit sont objectifs. Non car ils sont la résultante d’une pédagogie et d’un mode de relation de l’enseignant qui peuvent convenir ou ne pas convenir à l’élève. Cette situation laisse libre court aux affects influencer la décision. C’est ce qui se passe au niveau des compétences. Sous des apparences de clarté déclarée au niveau des intentions, il n’en reste pas moins que les éléments qui participent à l’évaluation sont éminemment subjectifs et souvent l’élève perturbateur se voit sanctionné sur son comportement plutôt que sur ses productions. C’est une réalité. C’est comme si l’adulte devait toujours tenir l’élève, en avoir la maîtrise. Nous sommes dans une logique de rapport de force.  

Ensuite sur la compréhension de son résultat : L’élève ne saisit pas la logique de son résultat. La note constitue un diktat qui vient mettre une valeur sur soi au lieu de venir mettre en évidence une logique d’action. La personne se sent évaluée plutôt que ses actions.

Enfin, son résultat ne peut pas être amélioré. Il ne peut pas prendre en compte ses erreurs. J’ai mis deux PP à apercevoir dans la dictée. La prochaine dictée ne comportera pas ce mot. Aussi il n’y a aucun intérêt à ce que je prenne en compte mon erreur. L’échec à une évaluation ne peut pas être dépassé par une autre évaluation car on passe ensuite à un autre chapitre. L’enseignement peut continuer alors que certains élèves n’ont pas acquis le contenu précédent. Refaire l’évaluation c’est s’assurer que l’élève acquiert vraiment les savoirs.

Je vais à présent décrire trois situations que j’ai rencontrées dans ma carrière qui traduisent les projets de sens qui peuvent sous tendre l’évaluation dans nos écoles.

1-Il y a 20 ans j’étais professeur principal d’une classe de 6ème. Le professeur de Français nouvellement nommée, vient me voir à l’approche du conseil de classe du 1er trimestre : Je suis embêtée tous mes élèves ont de bonnes notes. Je lui répondit : Super où est le problème ? Une professeur d’histoire qui nous écoutait l’apostropha du haut de son expérience : fais bien attention tu vas te faire bouffer ! Le trimestre suivant, la répartition suivit une loi normale avec quelques très bonnes notes et quelques très mauvaises notes et le gros de la troupe autour de 12. Elle était rentrée dans le rang.

10 ans plus tard, dans un autre établissement ; je pose une question simple à un professeur de mathématiques, excellent pédagogue, passionnée par sa matière et d’une authentique honnêteté intellectuelle : serais tu capable de mettre 20 à tous tes élèves ? Il me répond : Pas possible. Mais imagine tu as très bien enseigné, tous tes élèves ont compris…Il me sourit et me dit un brin provocateur : tu sais on a besoin de balayeurs…L’échec est programmé à des fins de sélection et de pouvoir.

Ensuite actuellement je suis amené à évaluer en équipe des compétences transversales. Il y a entre 5 ou 6 critères et 80 élèves à évaluer pour 4 niveaux possibles par critère ; évaluation basée sur l’observation et le ressenti personnel : rien n’est objectif au final. On évalue la discipline et l’élève qui perturbe se voit sanctionné sur la plupart des critères. Il est impossible d’évaluer car les critères ne sont pas clairs et ni clarifiés.

Dans ma didactique, j’essaie d’éviter ces phénomènes de pouvoir en précisant :

Le quand : en fin de cycle d’apprentissage et à deux reprises pour que les élèves puissent s’améliorer.

Le quoi : je décris le contenu que je vais évaluer, qui correspond à ce que j’ai enseigné. J’essaie de minimiser la part des capacités physiques qui sont le fruit d’une génétique.

Le comment : je décris aux élèves les critères et la pondération.

Ensuite, j’adopte une pédagogie de l’évaluation qui s’exerce en amont, pendant et en aval de l’évaluation.

Avant : j’annonce les règles du jeu et je peux les faire manipuler les critères en leur demandant de se donner une note sur ce qu’ils ont fait.

Pendant : je leur demande de se préparer mentalement, d’anticiper leurs actions en prenant en compte les attentes. Dans les autres disciplines, je pense qu’on pourrait accompagner mentalement les élèves en leur demandant de reformuler les questions et de chercher systématiquement dans leur mémoire les éléments du cours qui se réfèrent à la question.

Enfin après l’évaluation ou plutôt entre les deux évaluations lorsque cela est possible en terme de temps, on cherche à comprendre la note. Pourquoi il y a eu cette note. Qu’aurait-il fallu faire pour obtenir une meilleure note. Je veux que les élèves prennent conscience que leur note soit le fruit de leur pouvoir et non pas du mien.

En précisant le quand, le quoi et le comment sur un plan didactique et en s’investissant sur le plan pédagogique en amont, pendant et en aval de l’évaluation, il y a fort à parier que l’évaluation motive l’élève au lieu de le stresser, qu’elle prendra un accent promotionnel pour tous plutôt qu’un instrument de sélection et un moyen de pouvoir.

L’éthique en amont de la didactique

La  didactique d’un auteur est à mon sens impossible à mettre en œuvre sans se référer aux valeurs qui la sous tend. Il apparaît ainsi important de les mettre en évidence.

Une éthique de la relation à l’élève

Ma didactique s’anime et prend son sens par l’éthique qui la sous-tend. Elle consiste en un refus d’être un pygmalion, d’être tout-puissant. Elle reconnaît surtout que l’apprentissage dépend à la fois du désir de l’élève d’apprendre mais aussi de ses actes et de sa volonté. Cette éthique ne cherche pas à soumettre l’autre à une morale immuable et identique. Elle renvoie l’autre à lui-même et à sa responsabilité.

Toute autre action qui serait de l’ordre du conditionnement constituerait une atteinte profonde à la liberté de l’élève. Je refuse d’agir par la peur et par des perspectives de plaisir d’état rendant dépendant l’élève, qui sont monnaie courante dans le système éducatif français. En effet, l’école offre à l’enseignant beaucoup de moyens de se faire obéir grâce à un arsenal répressif et un système de récompenses valorisantes sur le plan de l’image sociale.

Au final, cette éthique est une sensibilité au sentiment de liberté et d’autonomie de l’élève. Elle est un refus d’être un surmoi et de jouer dessus.

Cependant, certains élèves fuient le travail en faisant autre chose ou en semant le désordre. Ces comportements donnent une illusion de liberté. Ma réaction dans les moments de fuite est d’entamer avec l’élève un dialogue ferme. Je lui demande de reprendre son acte afin de lui faire prendre conscience du lien entre son acte et la performance produite, pour pouvoir ensuite modifier sa motricité et produire un acte plus efficace. La fuite est souvent le fruit d’un sentiment d’impuissance. Le travail d’éducation vise à faire prendre conscience à l’élève que c’est son action qui produit une performance.

 

Le danger est l’agrégation des sentiments d’impuissance et des fuites de plusieurs élèves. Les élèves qui ont besoin de fuir ont souvent le projet implicite d’emmener d’autres camarades dans leur échappée. A plusieurs, ils se sentent moins vulnérables, leur responsabilité individuelle venant se noyer dans un collectif. La gestion et le management  deviennent très difficiles. Face à ces comportements de fuite, l’école va adopter en réaction une attitude orthopédique qui peut être considérée comme liberticide.

Contrairement à qui pourrait être pensé, la gestion mentale apparaît comme une réponse ajustée aux comportements de fuite. Elle est une pédagogie qui renseigne l’élève, sur le comment faire, le comment apprendre. Elle favorise la prise de conscience de sa capabilité et lui permet donc de se sentir capable de répondre à des exigences, et d’en retrouver le goût. Mais la prise de conscience n’est pas suffisante car les habitudes de fuite sont tenaces, il est nécessaire d’accompagner de la mise en œuvre des moyens d’apprendre par une présence encourageante et réflexive sur les prestations, et de reprendre les actes jusqu’à la réussite finale. A mesure que la réussite gagne du terrain, les comportements de fuite deviennent un lointain souvenir, les élèves gagnent en autonomie et auront moins besoin d’une présence constante.

Les consciences éducatives considèrent souvent qu’il faut tenir les élèves,  « ne pas les lâcher ». Je suis d’accord mais cela doit se passer en étant en relation avec compréhension, humour et valorisation. Les réactions des élèves à la peur et à la menace peuvent les amener à se mettre en danger. Ils voient dans ce rapport de force avec l’institution la volonté de les faire plier. ; le sentiment légitime de sauver leur humanité peut les amener à résister aux injonctions et aux interdits. Ce faisant, ils refusent ce qui est censé les protéger, ce qui est censé leur permettre de se développer culturellement. J’ai vu des élèves en échec scolaire non pour des raisons d’incapacité ou de difficultés cognitives mais pour des raisons de liberté. Ils vont même donner à l’interdit sens de liberté et d’expression de soi. Accepter de se soumettre aux injonctions, aux consignes serait avoir le sentiment d’être piloté de l’extérieur et de perdre son intériorité et son autonomie. Cet enfant à qui l’on dit de ne pas aller près de la rivière parce qu’il ne sait pas nager, y court dès que ses parents ont tourné le dos. Cet élève que l’on invective à faire ses leçons va préférer s’adonner à des activités de son choix plutôt que se consacrer à des disciplines qui pourraient l’épanouir et participer à la construction de son avenir. Il n’a pas conscience des risques sociaux à long terme auxquels il s’expose en délaissant son travail scolaire. Ces exemples d’échecs éducatifs et scolaires sont le fruit d’une résistance à la volonté des éducateurs de les faire obéir. Ces interdits et ces injonctions n’ont pas de sens de plus-être ou de sécurité mais d’étouffement et d’humiliation. La résistance est d’autant plus importante qu’elle ne s’inscrit pas dans le cadre d’une relation créée au préalable avec l’éducateur. Un élève sera moins en lutte avec un professeur avec lequel il a créé une relation de confiance et de connivence, de co-naissance ou plutôt de reconnaissance.

Si ces élèves ont besoin d’une présence intense et constante de l’enseignant, d’autres auront besoin de discrétion pour s’exercer, sans être observés, sans être en relation avec l’éducateur. Le regard de l’autre rompt leur intériorité et peut leur donner un sentiment d’impuissance et d’un moi sous tutelle. Des dispositifs d’auto-évaluation et de travail en atelier peuvent sécuriser l’élève dans le respect de son autonomie.

 

Le regard positif de l’éducateur sur les prestations des élèves les libère de leurs peurs. C’est ce qui structure ma relation aux élèves. Je me conçois sincèrement comme un orpailleur de leurs capacités. Je suis très souvent admiratif de leurs capacités et je me comporte fréquemment comme le spectateur enthousiaste d’une rencontre sportive.

Je conçois également ma relation avec les élèves comme une rencontre entre gens passionnés et motivés pour la même chose. Il n’est pas rare que j’échange avec eux sur le dernier match de football ou que j’écoute avec passion leurs exploits du week-end. Cela instaure un climat porteur.

 

Il y a aussi à accepter le choix de la personne d’être en échec, de ne pas faire. Prendre les rênes de sa vie nécessite de prendre conscience des risques pour le développement de soi engendrés par la direction empruntée. « La préméditation de la mort est préméditation de la liberté » nous dit Montaigne (essais 1588). Etre face à soi-même et ses échecs est une condition pour se prendre réellement en main. A toujours intervenir, on peut empêcher l’élève de saisir son propre chemin de vie.

 

 

Didactique et liberté de l’enseignant

Liberté de l’enseignant par rapport à sa hiérarchie

Mais laisser l’élève refuser le travail proposé pour échouer finalement demande de la part du professeur de se désolidariser des résultats de ses élèves. On parle du niveau de liberté du professeur qui peut avoir peur de ce que peut penser sa hiérarchie du comportement et de la réussite de ses élèves. La peur hiérarchique se transmet d’étage en étage et induit une relation pédagogique d’emprise. Pour les amateurs de Tintin, il faut relire dans Le lotus bleu le passage où des militaires se réprimandent en cascade de grade en grade. Comment se rendre libre de sa hiérarchie ? Les professeurs sont souvent terrorisés par les inspecteurs. Il est tentant de vouloir rester dans le rang, et pour cela de ne pas prendre le risque d’être différent en étant créatif. Or la créativité tire sa source du respect de la liberté de l’élève : quelles stratégies pédagogiques vais-je adopter pour que les élèves se mettent en action librement ? La liberté est un risque à prendre : liberté de soi, de ses intuitions, de ses initiatives et innovations didactiques : il faut oser sa liberté.

Je ne fais pas mon cours pour réaliser ce que j’ai prévu et être conforme aux attentes institutionnelles, mais pour rendre des services d’éducation, de formation et d’acculturation. La qualité de mon cours se juge aux effets qu’il produit et non pas à ce qu’en penserait un spécialiste de la didactique. Je rends des services à des élèves. Cette conception de la didactique me rend libre.

Liberté de l’enseignant par rapport à lui-même : se connaitre

Ma didactique se nourrit aussi de la personne que je suis, avec mes projets de sens, mon vécu et mon actualité.

Moi et le sport

J’ai avant tout la passion de ma discipline. Le plaisir que j’éprouve dans le sport est celui du progrès. J’ai tout de suite senti que je pouvais me développer par le sport, qu’un résultat pouvait être amélioré en recommençant. Par l’apprentissage de techniques, par la recherche du dépassement et par les phénomènes corporels d’adaptation que provoque l’entrainement, les performances peuvent être améliorées. J’en ai fait l’expérience dans 22 disciplines athlétiques, en golf, en football, en tennis, en natation, en gymnastique et en escalade. J’ai expérimenté ce que c’est que de progresser dans ces disciplines, en éprouvant de grandes joies. C’est pour cela que j’aime me projeter dans un avenir de progrès. J’aime me donner sans compter, suer, éprouver mon corps, ses forces et ses limites. Le sport est aussi pour moi l’occasion de rencontrer d’autres personnes, en compétition ou à l’entrainement. La compétition est l’occasion de me transcender et de progresser. Ces situations de records et de compétition, je les ai beaucoup vécues et le vis encore régulièrement. C’est cette passion que je tente de transmettre. J’essaie d’éveiller les élèves à ce que peut apporter le sport. Je sais ce qu’ils peuvent éprouver et ressentir. Je peux imaginer leurs besoins, comprendre leurs peurs, leurs joies, leurs frustrations et leurs sentiments d’injustice. Mon expérience oriente ma didactique et me permet d’évaluer ma préparation pour identifier si elle peut stimuler et motiver. Je vis mon cours comme si j’allais le vivre moi-même comme élève.

 

Moi et ma gestion mentale

En même temps, ma connaissance de moi-même constitue une vigilance car si ma didactique me ressemble trop, elle risque de s’imposer à l’autre. Et dans le domaine de la gestion mentale, j’ai une relative lucidité de mon fonctionnement et de mes possibilités mentales. Je suis plutôt recordman mais j’ai appris à développer des projets compétitifs. Les fins me motivent naturellement. Le travail sur les moyens est moins naturel et est le fruit d’une action volontaire. Dans mes cours, je peux avoir tendance à orienter le travail vers l’apprentissage de techniques en considérant que comme moi, les élèves sont naturellement motivés par les fins. Je peux voir des élèves s’engager différemment suivant les situations concernant les moyens ou les fins.

J’avais tendance au début de ma carrière à privilégier des situations de record. Depuis quelques années, je propose des situations de compétition. J’ai vu alors des élèves se mobiliser plus spontanément.

Les évocations verbales et kinesthésiques en première personne avec un sens explicatif sont centrales. Je peux me donner des images visuelles mais elles ne sont pas précises. Ce sont des impressions. Je pourrais donc beaucoup parler et peu montrer.

J’engage principalement des relations composantes avec autrui. Les oppositions des élèves me posaient problème au début de ma carrière. A présent je les envisage de façon plus positives mais je ne renonce pas à mon point de vue en développant mes arguments tout en répondant de façon positive aux oppositions et en en montrant le bien-fondé. Si je considère une opposition valable et justifiée, je modifie mes propositions en prenant en compte ce qui a été avancé. Accepter les oppositions des élèves c’est accepter leur liberté.

A mon sens, tenir compte dans sa didactique de sa propre gestion mentale et des gestions mentales potentielles des élèves est une condition du respect et de la promotion de la liberté.

 

Maitre et disciple

Sur le plan de la relation aux élèves, mon projet est de changer de statut de passer de celui de professeur à celui de maître et que les élèves deviennent des disciples. Les termes de maître et de disciple peuvent paraître exagérés et manifester un désir d’emprise. Ce passage d’une relation institutionnelle à une relation plus personnelle n’est pas le fruit d’une décision mais plutôt d’un effet pédagogique où je deviens pour l’élève une ressource pour son cheminement. Mais pour cela il faut que l’élève se mette en chemin. S’il ne l’est pas, je serai pour l’élève celui qui l’oblige qui le contraint qui peut le sanctionner…Lorsque l’élève se met en projet de progrès, et qu’il est en butte à des difficultés auxquelles il s’affronte sans les fuir, je peux représenter autre chose pour lui qu’un professeur qui s’impose à lui. D’autre part, je ne veux pas agir directement sur un comportement qui est une réelle atteinte de sa liberté mais plutôt en allant à sa source. Antoine de la Garanderie a considéré que cette source était des projets de sens qui le plus souvent se soustraient à la conscience des individus. Devenir libre c’est s’en rendre maître en les réorientant en les maîtrisant et en les enrichissant. Tout le travail du maître est de les identifier avec l’élève plutôt que d’agir directement sur le comportement.

 

Moi et mon parcours

En outre, je dois en grande partie ma didactique aux élèves eux mêmes qui par leurs questions, leurs difficultés, leur originalité, leur expérience m’ont permis de faire évoluer mes interventions. J’ai pu ainsi proposer des descriptions et des explications plus efficaces et plus adaptées. Je peux aussi distinguer le nécessaire de l’accessoire. J’ai aussi appris auprès d’élèves experts dans des domaines que je maîtrisais moins.  

Enfin j’entrevois ma didactique et mes interventions pédagogiques en constante évolution possible. Tout d’abord, il y a toujours la possibilité d’innover de trouver de nouvelles procédures, des exercices plus efficaces et plus motivants. Ensuite, je considère les cours et les relations aux élèves comme un terrain d’observation des phénomènes humains riches en découvertes nourrissant des réflexions personnelles qui en retour vont nourrir ma pédagogie. Je réfléchis sur l’apprentissage technique et j’ai un projet de publication. Les cours avec les élèves participent à ma réflexion et inversement. J’ai aussi longuement réfléchis sur la ténacité à partir de mes cours et de mon expérience de sportif. Ma didactique a évolué au gré de mes réflexions. Elle ne s’est pas figée une fois pour toute à la sortie de ma formation initiale.

Enfin l’accompagnement d’élèves très différents dans de nombreux établissements a eu une influence certaine sur cette didactique. L’intervention auprès d’élèves d’un établissement parisien très sélectif m’a fait prendre conscience que je pouvais être  plus exigeant auprès des élèves. On pouvait avoir de l’ambition pour eux et qu’il pouvait répondre positivement. En revanche, les publics en difficulté m’ont amené à me pencher sur l’éveil de la motivation pour donner envie d’apprendre et d’agir. Les collègues ont été nombreux à m’inspirer et à participer à l’évolution de ma façon d’enseigner. Une didactique n’est pas figée et n’est pas acquise une fois pour toute sinon on s’enferme dans une conception verticale de l’enseignement. C’est cette éthique de la liberté qui rend la didactique d’un professeur en constante évolution.

L’éthique est au final une réflexion autour de ses premiers mouvements, de ses choix, de sa spontanéité pour identifier s’ils sont bons pour l’autre et surtout pour cette personne qui est là en face de soi. Elle est une inspection d’un projet concernant l’autre. Ce que je veux faire a-t-il pour finalité de servir le jeune ou répond-il à des problématiques personnelles ? S’agit-il de sauvegarder mon pouvoir et mes intérêts plutôt que ceux d’autrui ? C’est une inspection au cœur de sa conscience avec honnêteté. Nous ne sommes pas dans le cadre d’une justification auprès d’un tiers car ici la mauvaise foi et l’aveuglement peuvent venir modifier les projets de sens initiaux. Les arguments sont avancés comme des causes pour mieux voiler les vrais projets. Est-ce pour le bien de l’élève que je punis ou pour qu’il me laisse tranquille ? Est-ce pour mieux les surveiller et les reprendre que j’organise les élèves en rang ? Ou bien est-ce pour des raisons d’efficacité didactiques et pédagogiques ? Est-ce que j’agis par peur ou bien suis-je animé par l’espoir de voir l’élève réussir ?

Liberté et discipline

Il n’est pas possible de parler de liberté à l’école sans aborder le problème de la discipline. Lorsque l’on parle d’école, c’est la première chose qui vient à l’esprit d’une personne. Comment faire pour que la discipline règne sans s’imposer sans que l’élève se sente enfermé ?

Règle et exigence

La pensée éducative traditionnelle considère qu’il faut apprendre à l’élève à respecter les règles. Il s’agit en fait d’apprendre à obéir. Ces règles sont souvent des moyens de contrôle et sont organisationnelles. Elles ne peuvent trouver sens dans la conscience de l’élève et ne peut venir nourrir un chemin personnel. Quel sens a pour moi de me mettre en rang à la sonnerie en un lieu déterminé au sol dans une situation d’immobilité ? Ces règles prennent dès lors un sens d’étouffement. La réaction consiste à s’y soustraire. La réaction éducative est de mettre en place un système de punition dissuasif. La non-observance sera plus couteuse que le respect de la règle. Mais quels sont les bénéfices tirés de l’obéissance : cognitive ? Culturel ? Rien n’est moins sûr.

Antoine de la Garanderie préférait l’idée d’exigence. L’enjeu était que l’enfant soit exigeant envers lui-même. L’exigence est la reprise moult fois répétés d’un acte qui n’est pas encore assez ajusté au projet. C’est l’action de réduction d’un écart entre une réalisation et un projet. Pour que l’enfant soit exigeant, il faut que le projet soit le sien. L’éducateur peut le renvoyer à cette exigence en l’amenant à prendre conscience de cet écart. Le jeune peut avoir peur de cet écart  car il peut considérer qu’il n’en a pas les moyens. Il peut se décourager. L’enseignant doit donc avoir la foi dans les possibilités des enfants et de cet enfant. C’est pour cette raison qu’il doit être très vigilant au niveau demandé aux jeunes. Il doit être certain que les élèves en ont les moyens. Mais pour être exigeant, il faut en donner les moyens et renseigner les élèves pour qu’ils puissent l’être eux mêmes. L’exigence ne peut se passer d’une éducation cognitive. La gestion mentale est une pédagogie permettant aux exigences didactiques d’être accomplies. L’élève exigeant envers lui-même a besoin de beaucoup moins de règles pour ajuster son comportement en société et il les accepte beaucoup plus facilement. Travaillons d’abord sur le développement de l’élève et après sur un règlement si le besoin s’en fait sentir. En retour les élèves auront foi dans leurs professeurs qui n’auront plus besoin d’entretenir des rapports de force avec eux.

Limiter l’élève, lui donner des limites

La pensée éducative traditionnelle considère qu’il faut donner des limites à l’enfant, en ne lui laissant pas faire tout ce qu’il veut. Savoir lui dire non. Oui au non lorsque l’enfant prend des directions dangereuses pour lui et en lui disant pourquoi. Oui au non aux revendications de pouvoir de l’enfant qui veut voir tous ses désirs satisfaits par son entourage sans qu’il cherche à les satisfaire par ses propres moyens. Mais le sens de l’éducation se borne-t-il à jalonner les chemins de l’enfant par toute une série de sens interdits pour qu’il suive la voie de son développement ? Au lieu de penser à limiter l’enfant ne faudrait-il avant tout lui donner le sens de son illimitation c’est-à-dire le champ infini de progrès qu’il peut accomplir dans un domaine particulier ? Les moyens qu’il a actuellement à sa disposition peuvent être améliorés et dépassés par l’apprentissage. Il y a un consentement à une limite en acceptant de passer par ses propres moyens pour réaliser un projet et en même temps un refus de cette limite. L’autonomie est acquise lorsque la personne cherche à faire coïncider un moyen maîtrisé par soi-même et une fin que il s’est donnée.

Dire non à l’élève

Très souvent les élèves font des propositions d’activités ou bien font part d’initiatives qui vont le plus souvent en concurrence avec le projet didactique du professeur. Aussi la réponse traditionnelle est de dire non. Pourquoi ne pas dire oui ? Dire oui aux initiatives et aux projets des élèves. En retour les élèves seront beaucoup plus composants avec les propositions des enseignants. Mais est-ce là une raison tactique pour mieux faire accepter une didactique bien indigeste ? Est-ce de la démagogie ?

Non il s’agit de l’avenir du développement de soi. L’élève ou l’enfant à qui on dit toujours non à ses projets, à ses initiatives, à ses propositions va à la fin se dire non à lui même et ne plus écouter l’appel naturel au développement de soi qui éveille sa conscience. Alors écoutons les projets et les initiatives des élèves pour qu’ils apprennent à s’écouter intérieurement. Il y a bien des espaces et des moments que l’on peut réserver pour que cela soit possible.

 

Anticiper plutôt que reprendre, le projet plutôt que la morale

Souvent l’enfant, l’élève qui après avoir manifesté un comportement non conforme avec des attentes ou non ajusté avec l’environnement est repris par un adulte qui le lui signifie pour qu’il ne recommence pas. Il lui parle de son passé pour son avenir. Mais souvent l’élève ne place pas dans l’avenir le comportement qu’on attend de lui ou qui aurait été plus adapté. L’élève se trouve complètement enfermé dans son passé et se sent complètement impuissant. Il préfère échapper à cette situation et résister aux tentatives de correction morale. Il a le sentiment d’une tentative de mise sous dépendance d’une mise sous tutelle. Par sa résistance l’élève sauve son autonomie et son indépendance personnelle. Aussi nous pensons qu’il vaut concevoir le changement en amont des situations plutôt qu’en aval c’est à dire juste avant qu’une situation se reproduise. Le projet plutôt que la leçon de morale. Il y a des éducateurs qui se conçoivent uniquement comme des instances morales qui reprennent toujours les jeunes et qui ne voient que les aspects négatifs de leurs actions. Réalisons des projets avec eux plutôt que de faire des leçons de morale. Tel père qui ne loupe jamais son jeune fils turbulent mais qui ne fait jamais un cache-cache avec lui. Cet enfant de ce fait ne respecte rien ni personne. Le couple père fils est ainsi pris dans un complexe infernal : le père et le fils ne veulent pas lâcher. Beaucoup d’enfants sont beaucoup plus adaptés et positifs lorsqu’ils sont en projet de réalisation.

Ce problème se retrouve aussi dans l’acquisition des techniques en EPS où l’enseignant évalue la prestation après coup. L’élève souvent n’en fait rien. En revanche si juste avant de s’exécuter, on lui rappelle ce qu’il avait fait avant et ce qu’il doit faire maintenant, il va à ce moment-là prendre en compte ce qui a été préconisé, il va amorcer un changement. Avant plutôt qu’après. L’avenir avant le passé. Le projet libère. Le passé peut nous enfermer s’il n’est pas relié à un avenir.

 

Un projet d’école : l’empathie et la congruence

Il y a des personnes qui ne supportent ni la frustration ni la contradiction. Au final, il refuse l’expression et l’existence d’autrui. C’est d’abord eux. Ils ne prennent pas du tout en compte les besoins et les points de vue d’autrui. Que l’autre ait mal en raison de leur comportement et de leur expression, cela ne fait pas du tout partie de ses préoccupations. Son épanouissement personnel est en jeu. Un programme d’éducation à l’empathie est alors à concevoir pour que « sa liberté s’arrête là où commence celles des autres ».

Il y a des élèves qui sont complètement aliénés qui n’osent pas être eux-mêmes qui se cachent qui se fondent dans les us. Pour eux, tout l’enjeu de la pédagogie est  qu’il devienne congruent c’est à dire fidèle à ce qu’ils sont qu’ils ne transigent pas avec leurs exigences et leurs valeurs. Pas forcement besoin de dire ce qu’on pense, le silence et l’isolement donnent de la force.

Limites à la liberté de l’élève

Respecter la liberté des élèves peut présenter un certain nombre de difficultés.

Tout d’abord il y a les activités qui nécessitent absolument ma surveillance car la moindre erreur pourrait mettre les élèves en danger. Par exemple, en escalade, je surveille et je vérifie que les consignes soient bien respectées. Les apprentissages sont précis et doivent être reproduits à l’identique. Il est intéressant de noter que ma vigilance et mon intransigeance ne sont pas vécues par la plupart des élèves comme une atteinte à leur liberté mais comme les gages d’une pratique en toute sécurité.  Il peut arriver que des élèves soient complètement paralysés sur la paroi. Dans ces moments là, je me permets de diriger à la voix tous leurs gestes de façon très précises pour les débloquer. Dans la plupart des cas, cela les libère. Ils acceptent d’être dirigés par un tiers.

D’autre part, certains élèves ou groupes voient dans l’autogestion et l’absence relative d’une surveillance, comme une opportunité de fuite du travail et une possibilité d’exprimer de la violence et de laisser libre cours à un désir de toute puissance sans respect pour rien ni pour personne. Il peut arriver que le travail en atelier génère du désordre, des bagarres et des dégradations. Ces phénomènes sont la conséquence d’une éducation contrôlante basée sur la menace et la présence constante d’une surveillance. La surveillance disparaissant, l’individu ne se tient plus car n’ayant jamais appris à le faire. Il me faut alors envisager une autre relation où je marque ma présence, mon arbitrage et mes exigences. Je parie sur le développement d’un sentiment de réussite et de l’estime de soi qui permettra à l’élève de s’autogérer par la suite.

La réaction classique à ces débordements, est le renforcement de la surveillance, la mise en place d’un système répressif ayant pour objectif de dissuader les projets déviants. Et on pense que cela va mettre les élèves au travail et produire des effets cognitifs. Mais ne faudrait-il pas voir dans ces comportements déviants l’expression d’une impuissance et d’une inculture cognitive ? C’est par le projet et l’éducation cognitive que le comportement pourra être adapté et orienté. Sinon il sera contenu et conditionné à une surveillance. Mais est-ce l’éducation d’une personne libre? On sépare artificiellement éducation et enseignement. On réduit l’éducation au comportement que l’on va chercher à contrôler directement. La didactique en même temps oublie l’éducation de la volonté et de l’activité cognitive.

 

Conclusion

Au cours de ce témoignage que l’on peut considérer comme une profession de foi d’enseignant, j’ai cherché à décrire comment ma didactique pouvait être influencée par les concepts de la gestion mentale et comment j’accorde une place importante à la liberté des élèves. Pour pouvoir mettre en place la gestion mentale, il faut des espaces de liberté et mettre de la liberté dans les relations pour former une personne libre. Cette liberté est l’alpha et l’oméga de la gestion mentale et je dirais de tout projet éducatif. Cette liberté est une valeur mais à mon avis est aussi une condition de l’efficacité didactique.

La prise en compte de la liberté et de la gestion mentale à l’école nécessite une réforme des mentalités et de l’organisation de l’école. Antoine de la Garanderie appelait à une véritable révolution culturelle, dans laquelle les relations verticales laisseraient la place à l’horizontalité, et où le pouvoir se donnerait pour mission de servir le développement des élèves.  Actuellement trop souvent on pense que les progrès passent uniquement par la didactique et donc par des aménagements et des réformes didactiques mais pas par la formation pédagogique des enseignants. Comment se fait-il qu’on puisse enseigner sans avoir reçu une formation en psychologie du développement en psychologie de l’apprentissage, ou en philosophie de l’éducation ? Comment se fait-il que des professeurs soient engagés au niveau licence voire moins sans aucune formation pédagogique ? Il y a certes des formations continues mais actuellement elles se cantonnent dans le pratico-pratique, dans le fait de fournir des recettes sans réels apprentissages de la part des enseignants. On va en formation et on reprend son quotidien. Les enjeux de l’éducation nécessitent que les enseignants soient mieux formés. La formation didactique n’est pas suffisante. Les travaux d’Antoine de la Garanderie constituent une ressource essentielle dans cette perspective.

 

Bibliographie

 

-Plaisir de connaître. Bonheur d’être. Une pédagogie de l’accompagnement, Lyon, Chronique Sociale 2004 Antoine de la Garanderie

-Comprendre les chemins de la connaissance. Une pédagogie du sens, Lyon, Chronique sociale 2002 Antoine de la Garanderie

-Renforcer l’éveil au Lyon, Chronique sociale 2006 Antoine de la Garanderie

-Apprendre sans peur Lyon, Chronique sociale 1999 Antoine de la Garanderie

 Antoine de la Garanderie

-Critique de la raison pédagogique Nathan 1997Antoine de la Garanderie

-La motivation. Son éveil et son développement. Paris, Le Centurion 1991 Antoine de la Garanderie

-Schématisme et thématisme. Le dynamisme des structures inconscientes dans la psychologie d’Albert Burloud, Louvain, Paris, Nauwelaerts, (Philosophes contemporains. Textes et études), 1969 Antoine de la Garanderie

-Le sens de l’évolution de Jaurès à Teilhard de Chardin, Paris Aubin éditeur 2007 Antoine de la Garanderie

-Surveiller et punir, Gallimard 1975 Michel Foucault

-Philosophie de la volonté, Tome 1, Aubier Philosophie, 1949 Paul Ricoeur

-La liberté dans l’éducation, éditions du scarabée, 1961, André Berge

-La liberté ou la liberté de créer, Editions Autrement 2015 Robert Misrahi

-Résister exister, ce qui dépend de nous, Puf 2017 Pascal Chabot

-Le soin est un humanisme, Gallimard 2019 Cynthia Fleury

-Psychologie de la motivation, Petite Bibliothèque Payot, Paris 6ème, 1947 Paul Diel

-Transmettre, Apprendre, Les essais Stock, 2014 Marie-Claude Blais, Marcel Gauchet, Dominique Ottavi

-La liberté, Puf, Que sais-je, 1993 Roland Quilliot

 


 

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28 mars 2016

Le corps du professeur d'EPS

Cet article de la revue EPS vient montrer qu'il ne faut pas oublier la pédagogie, le pédagogue. La didactique est une donnée importante de l'enseignement mais pas suffisante. Le corps de l'enseignant est un véritable média qui va favoriser l'incarnation de la culture sportive par les élèves et leurs progrès.

http://uv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70216-12.pdf

24 avril 2015

ANTICIPATION ET MOTRICITE

 

Avant propos

 

Cet article est le compte-rendu d’une intervention lors du colloque de gestion mentale sur l’anticipation du 25 octobre 2009. Il cherche à mettre en évidence que l’anticipation n’est pas une simple programmation, qu’elle implique le sujet dans son corps, son intelligence, ses motivations et son éthique.

Le milieu éducatif déplore souvent le manque d’anticipation des jeunes qu’il a pour mission d’éduquer. Une vision restrictive et morale de cette activité mentale amène les éducateurs au quotidien à ne proposer aux élèves que des injonctions à anticiper. Mais on peut aussi s’interroger sur cette attitude injonctive : n’est-elle pas elle-même la cause du manque d’anticipation des élèves ? On cherche à faire en sorte que l’élève apprenne à se programmer, à penser à ne pas oublier dans l’avenir des éléments déjà établis. En outre cette vision ne tire-t-elle pas ses raisons dans l’éducation à l’obéissance qu’a montré Michel Foucault dans « Surveiller et punir » (1975) ?

Au cours de l’exposé, nous avons voulu montrer que les éducateurs peuvent susciter, encourager et éduquer l’anticipation en montrant à l’élève comment s’y prendre et en créant des situations didactiques qui attirent, qui donnent envie d’avenir et qui donnent du sens. L’anticipation se situe à l’interface d’un monde qui attire et d’un sujet qui agit vers le monde. La tâche de l’enseignant, de l’éducateur se situe sur ces deux pôles.

Si j’avais à réécrire mon propos, je serais peut-être parfois moins affirmatif et moins didactique, notamment lorsque je dis que l’homme anticipe toujours. Lorsque un individu en mouvement est confronté à un obstacle inédit qui s’oppose à son déplacement, l’image ou le senti du mouvement d’esquive est-il vraiment en amont du déclenchement de l’acte ? N’est-il pas contemporain ? N’est-il pas postérieur à celui-ci ? La pensée de l’acte est-elle vraiment une commande de l’acte ? N’y a-t-il pas des commandes motrices inconscientes ou automatisées ?

De même, je laisse apparaître que l’anticipation constitue une forme d’idéal de vie cognitive. Mais là encore, cet absolu mériterait d’être relativisé. Ne trouve-t-on pas le bien-être intérieur en développant aussi une capacité à sentir le présent, à être présent au présent ?

 

 

Quoi de plus naturel de penser au sport lorsque l’on parle de l’anticipation. Le sportif est celui qui pense à la tactique et à sa technique avant son match. Il pense à battre un record, à battre tel ou tel adversaire. Il est celui qui choisit ses épreuves lorsque cela est possible. Il anticipe.

Mais pour un non sportif, lorsqu’on lui demande s’il anticipe ses gestes, il risque de trouver cette question incongrue. « Quand je marche, je ne pense pas à ma façon de marcher, lorsque j’ouvre une porte avec une clé, je n’y pense pas du tout ». Mais nous pouvons lui rétorquer qu’il a anticipé un lieu où se diriger, qu’il a pensé à prendre ses clés dans son sac avant d’arriver devant sa porte. Il n’a pas conscience de l’anticipation de ses actes moteurs car il y a une telle proximité, une telle contiguïté entre la pensée et l’acte qu’on est centré sur les perceptions extérieures et sur nos actes qui sont d’autant plus rapides qu’ils sont automatisés. En outre nos anticipations habituelles deviennent à la longue des automatismes c'est-à-dire que nous n’avons plus besoin d’y penser dans les détails ; la décision entraîne l’action dans toute sa continuité.

Ainsi  quoiqu’il arrive nous anticipons toujours. Mais dans ce cas pourquoi parler d’anticipation si nous le faisons toujours ? Pourquoi poser l’anticipation comme une problématique pédagogique et éducative ?

Une personne de notre connaissance anticipe en se levant, lorsqu’il est en vacances, le type de petit déjeuner qu’il va prendre. Celui-ci englouti, il pense au repas du midi. Il va proposer des plats différents possibles à sa femme. Ils anticipent leurs saveurs et le plaisir qu’ils vont en retirer. La diététique n’est absolument pas prise en compte. Seul le plaisir gustatif des aliments et des alcools est appréhendé. Ils arrêtent une décision. Ils se concertent sur les ingrédients et déterminent l’endroit où ils vont aller faire les courses. Après cela, ils pensent à jouer aux courses et rentrent en discussion sur le cheval à jouer. Ils arrêtent un choix. Ils espèrent que la chance va leur sourire dans l’après midi. Le repas et le jeu terminé, ils pensent à ce qu’ils vont faire l’après midi : plage et casino (où ils perdront 200 euros). J’oublie de dire qu’après le repas du midi, ils ont arrêté le contenu du repas du soir avec la même procédure d’anticipation. Toutes les vacances se déroulent sur le même plan. Tout cela est vrai et j’ose dire que ce n’est pas un cas isolé.

Ce couple est constamment en anticipation. Mais ils sont enfermés dans leurs habitudes d’anticipation. Et ils en éprouvent certaines aigreurs certaines frustrations d’être sans le reconnaître et sans savoir que ce sont leurs habitudes d’anticipation qui les limitent.

Mais en même temps, les grandes réalisations sont toujours le fruit d’anticipations. Un grand monument d’architecture a toujours été pensé avant. S’il a été réussi, c’est qu’il a été pensé avant.

Pour nous, l’anticipation est un instrument que l’homme a à sa disposition qui peut soit l’enfermer soit favoriser son développement. L’anticipation pour dépasser ses habitudes d’anticipation. Anticiper de nouvelles anticipations à partir du moment où on aura reconnu nos habitudes dans lesquelles nous sommes enfermés, s’avère la condition de la libération. Mais pour cela, la conscience qu’il y a d’autres anticipations possibles s’avère nécessaire. C’est ce que nous nous proposons de faire. A savoir dresser un inventaire des anticipations dans le domaine de la motricité.

Avant toute chose, nous allons définir les concepts d’anticipation et de motricité.

L’anticipation est la pensée des actes à venir que nous allons produire et des évènements à venir. Il y a une pensée d’avenir de soi acteur et ou de soi spectateur.

La motricité concerne le domaine des mouvements humains qu’ils soient sportifs, utilitaires ou artistiques.

Le choix de la motricité est un alibi et une fin en soit. Ainsi, le sportif, l’éducateur sportif et le formateur en gestion mentale pourront trouver matière dans l’exposé qui va suivre. Le sportif pour développer sa motricité et devenir plus performant, l’éducateur sportif pour favoriser celles des sportifs dont il a la charge et le formateur en gestion mentale pour trouver des points d’appuis dans les dialogues pédagogiques qu’il mène avec des jeunes qui souvent réussissent dans le domaine du sport.

Tout d’abord nous réfléchirons sur ce qui détermine l’anticipation motrice sur ce qui la suscite. Nous considérons que des situations peuvent susciter ou inhiber l’anticipation. Cela dépend des personnes. Nous en dresserons une liste qui ne se voudra pas exhaustive.

Ensuite nous montrerons que le contenu de l’anticipation peut être l’objet de nombreuses variations suivant les individus.

Par ailleurs, nous nous pencherons sur les formes d’anticipation possible.

Dans une quatrième partie, nous étudierons les moments de l’anticipation par rapport à l’action motrice.

Puis notre réflexion se portera sur les différentes fonctions que peut revêtir l’anticipation motrice pour l’homme.

Enfin, nous tenterons de décrire les structures propres de l’anticipation afin de déterminer ce qu’il convient de faire pour bien conduire une anticipation.

 

Nous emploierons souvent un ton prescriptif au détriment de l’indicatif. Nous pensons qu’il y a des structures d’actes incontournables pour qui voudrait conduire une anticipation efficace.

De plus, nous utiliserons souvent les pronoms je et nous. Le Je pour montrer que l’anticipation se situe dans un dialogue de soi avec soi et est le fruit d’un individu acteur de sa vie. Le nous pour appuyer le fait que cette anticipation concerne tous les hommes et que je me reconnais et me comprends dans l’autre.

 

A UNE ANTICIPATION MOTRICE CONDITIONNEE PAR UNE AMBIANCE DE SENS

 

Toutes les situations que nous allons vous présenter peuvent être des starters de l’anticipation parce qu’elles ont du sens pour un individu. Elles sont des raisons d’anticiper. Mais cela ne fonctionne pas malgré l’individu. Nous ne sommes pas dans le cadre d’une psychologie expérimentale qui considère l’environnement comme autant de stimuli déclenchant automatiquement des comportements sans que l’individu en ait le choix véritable.

Nous pensons que ces situations libèrent la temporalité. Elles ont toutes un rapport avec le temps. D’autant plus dans le domaine du corps. Notre corps est mortel. C’est cette mortalité à venir et possible qui est à la base de notre temporalité. Pour anticiper, il faut qu’il y ait un champ temporel qui se présente à l’individu.

 

1 l’obstacle

 

Imaginez que vous êtes en train de marcher dans la rue et qu’une personne survienne en travers de votre déplacement. Scène très habituelle dans nos villes. Si vous maintenez votre type de motricité, vous allez créer un accident avec l’autre avec toutes les conséquences corporelles et relationnelles que cela pourrait produire. Pour éviter l’obstacle, vous allez déterminer un nouveau mouvement que vous allez agir immédiatement dans la foulée de sa pensée. Il y a une contiguïté entre la pensée et l’acte. Dans ce cas, vous allez faire soit un pas de côté soit vous allez ralentir soit effectuer une rotation des épaules. Mais quoiqu’il arrive, vous pensez ces actions avant de le faire. Il y a des personnes qui aiment courir en forêt ou en pleine nature comme c’est le cas pour la course d’orientation où il y a de nombreux obstacles qui s’opposent au mouvement et qui sont autant d’occasions d’anticiper.

 

2 l’échec et la réussite

 

Vous êtes en train de discuter avec une personne tout en cherchant à ouvrir la porte de votre maison avec une clé. Vous n’y arrivez pas. C’est à ce moment que vous allez penser à ce que vous allez faire. Là encore vous n’avez pas le sentiment d’anticiper parce que vos pensées se traduisent immédiatement en actes. Mais là, l’échec de la motricité va pousser l’individu à déterminer une nouvelle motricité pour s’adapter à la tâche.

Cet été, lors du stage de Châteaudun, j’avais proposé à des élèves de première, un parcours d’obstacles. Il y a avait notamment dans la partie terminale, une série de cerceaux posés à même le sol dans lesquels, il fallait passer. Une jeune fille échoua à ce niveau car elle avait attaqué le premier cerceau qui était à gauche du suivant, avec le pied droit. Elle fut donc dans l’impossibilité de poursuivre son parcours. Elle manifesta le désir de recommencer. Avant de repartir, elle se dit : « il faut que j’attaque le premier cerceau avec le pied gauche » alors que la première fois, elle n’avait pas eu le sentiment d’anticiper sa motricité avec une telle précision. Pour elle, l’échec a stimulé l’anticipation. Mais pour d’autres, il a un sens d’arrêt. Il stoppe la temporalité. Henri Laborit a montré dans sa thèse de doctorat  « l’inhibition de l’action », qu’un organisme placé de façon répété dans une situation d’échec, s’arrête d’agir.

Pour certains, c’est la réussite qui stimule l’anticipation. Avoir réussi donne envie d’en renouveler l’expérience. J’ai réussi en saut en hauteur. J’ai fait une belle performance. J’arrive la semaine d’après au cours suivant en y ayant pensé plusieurs fois avec le désir de réussir encore une fois. Souvent ce qui nous attache à une activité ce sont ces premières expériences de réussite. C’est cela qui nous aide à accepter les échecs. On sait qu’ils sont chargés d’une promesse de réussite.

Ainsi la temporalité s’ouvre soit par l’échec soit par la réussite.

 

3 le risque

 

Imaginez que vous êtes en train de marcher sur une planche d’un mètre cinquante de large à même le sol. Vous allez la traverser comme si de rien était avec l’esprit centré sur autre chose que votre motricité. En revanche si il y a 500m de vide de part et d’autre de cette planche, deux situations mentales peuvent survenir : soit vous êtes complètement tétanisé incapable de faire quoique ce soit, soit vous allez penser tous vos gestes avec une grande précision. La situation de risque corporel peut être l’occasion d’une anticipation très précise. Nous entretenons avec notre corps, un rapport de doute. Nous ne le connaissons pas complètement. Nous ne le maîtrisons pas complètement. Nous n’en sommes pas l’auteur. Nous pouvons certes le perfectionner et l’améliorer. Mais il y a un grand nombre d’organes et de fonctions que l’on nomme involontaires ou bien autonomes qui fonctionnent malgré nous. Notre cerveau peut être détruit et le cœur peut toujours fonctionner. Et à tout moment elles peuvent nous lâcher. Nous avons un corps qui peut nous échapper à tout instant. La mort en est un bel exemple. Si le corps ne fonctionne plus notre vie terrestre s’estompera malgré notre désir de la poursuivre. Et cela, nous en avons une intuition dans les situations à risque. Si les mouvements de mon corps m’échappent à un tel moment, cela peut m’être fatal. Aussi en anticipant volontairement même des gestes simples, je m’assure le contrôle de mon corps. J’en reprends le contrôle alors que dans les situations sans risque, je laisse mon inconscient gérer les mouvements automatisés. Ricœur contrairement à Freud, considère que les fonctions involontaires peuvent venir au service du volontaire. Le volontaire comme une instance unifiante qui fait participer les parties au tout. Anticiper serait un moyen de s’assurer l’adhésion de toutes les instances corporelles à l’épreuve.

Là, on peut comprendre l’attachement de certaines personnes aux activités extrêmes comme les acrobaties en tout genre, l’alpinisme, les traversées de grands espaces comme les pôles ou les océans avec des moyens souvent modestes. Ce sont autant d’occasions d’anticiper. Autant d’occasions de se sentir vivant. Et le plaisir qu’ils en retirent, n’est ce pas le plaisir d’anticiper ?

En outre le risque peut aussi être d’ordre social. Il y a des situations où notre avenir professionnel et relationnel est en jeu. L’échec ou l’erreur pourrait avoir des conséquences négatives pour l’avenir.

 

4 l’épreuve

 

La perspective de produire une grande performance ou bien une grande réalisation qui a un prix à ses propres yeux ou aux yeux des hommes peut déterminer une anticipation pour certains. Il peut y avoir une notion de risque mais pas forcément. Il s’agit de prouver ou de se prouver, ses capacités physiques et mentales. Gravir une montagne, faire le tour d’un pays en vélo, nager une grande distance, défier un adversaire considéré comme très fort, sont autant d’épreuves qui vont susciter une anticipation, une pensée de l’épreuve avant qu’elle se réalise. A mes élèves, je propose souvent en endurance des temps de course différents qui vont de 15mn à 45mn. La plupart choisissent le temps le plus long.

 

5 l’échéance

 

Le fait d’avoir à répondre à un moment et à un lieu précis et à faire la preuve de capacités, peut générer une pensée des actes à produire. Jean Lacroix disait que le bonheur est un danger qui guette l’homme. Dans le bonheur il y a constance et continuité d’un état de bien être. Le rechercher est un leurre. Il préfère la notion de joie à celle du bonheur. C’est à travers des échéances que l’homme accède à la joie. Il pense que l’homme est un être d’échéances. Le temps sportif est structuré par des échéances. Le sportif s’entraîne et se prépare toujours en fonction d’une échéance. S’entraîner, se préparer sont des anticipations. Voyez les étudiants se mettre à travailler à l’approche des examens. Voyez les élèves qui se mettent à apprendre leur poésie lorsqu’ils savent qu’ils auront à la réciter. De même pour un spectacle de danse ou une représentation de théâtre.

Notre temporalité a besoin d’être structurée par des échéances pour s’y projeter.

 

6 la pression temporelle

 

On peut avoir dans notre avenir, un enchaînement de responsabilités dont on doit s’acquitter et cela peut stimuler certaines personnes à anticiper. Si on ne prépare pas l’avenir alors on sera dans l’incapacité de répondre présent. Avoir trop de temps peut endormir et amener les personnes à remettre au lendemain leur anticipation. Cela ne veut pas dire qu’il faille abreuver les élèves de travail dans le but de les amener à l’anticipation. Il s’agit de responsabilités et non pas de devoirs faire. La grande quantité de travail donné par les enseignants (surtout à des élèves en difficulté) bloque leur anticipation par rapport à la chose à faire. La chose s’impose à eux. Ils voient la globalité au lieu d’appréhender les tâches au fur et à mesure.

C’est souvent la répugnance des élèves à s’engager dans le travail à faire qui pose problème aux enseignants. N’est ce pas la raison de ce colloque ?

Il y a des personnes qui ont besoin de se mettre dans l’urgence pour se mettre dans l’anticipation c'est-à-dire d’attendre le dernier moment pour préparer l’échéance. Ne plus avoir de temps. On retrouve le besoin de risque encore ici.

Il est aussi des personnes qui s’avèrent complètement bloquées lorsqu’une pression temporelle se fait sentir. Il y a des enseignants qui, volontairement, mettent les élèves dans cette situation. Et certains se lancent dans l’action et dans la rédaction lors des devoirs, sans anticiper, sans actes de réflexion, avec toutes les conséquences désastreuses pour leurs résultats. Penser à ce qu’ils vont faire avant de se lancer à l’écriture est pour eux une perte de temps et ils préfèrent se passer de ce moment nécessaire pour se rassurer. Nous militons pour qu’on demande aux élèves de ne pas écrire avant un certain temps afin qu’ils pensent à leurs réponses et comment ils vont les organiser.

 

 

7 la socio motricité

 

L’harmonisation des mouvements de plusieurs personnes dans une perspective d’efficacité et de beauté peut nécessiter et susciter de l’anticipation. Des mouvements de danse en synchronisation peuvent entraîner des anticipations chez les personnes. En football, chacun a un rôle, des types d’interventions prévues à l’avance. Le relais de vitesse est le symbole de cette nécessité de l’anticipation. Il faut déterminer le lieu à partir duquel  le relayeur va partir et le type de signal qui va déclencher la transmission du témoin. De nombreuses répétitions vont se succéder pour arriver à trouver les bons repères avant de se lancer dans la compétition. L’autre est celui que je ne peux pas prévoir et moi-même je suis imprévisible pour l’autre. Ainsi déterminer à l’avance ce qu’on va faire en faire l’expérience, dialoguer avant de fixer les choses, est une condition de la vie collective.

En outre, une ambiance affective spécifique peut favoriser ou non l’anticipation. Les notions de relations d’opposition ou de composition peuvent jouer un rôle à ce niveau.

 

8 l’apprentissage

 

Imaginez un pas de danse que vous ne connaissez pas et qu’on vous demande de refaire. Une fois qu’on vous l’aura montré et expliqué, vous allez y penser avant de le faire dans le but de le reproduire à l’identique. Pour apprendre, c'est-à-dire faire quelque chose jamais réalisé, il y a une nécessité d’anticiper c'est-à-dire de penser à la chose avant de la faire. Présenter à quelqu’un un mouvement qu’il n’ai jamais réalisé, peut le pousser à anticiper.

 

9 Le progrès / la compétition

 

La perspective de faire et de refaire une épreuve dans le but de l’améliorer va amener la personne à penser ses actions avec des nouveautés motrices. C’est pour cela que l’enseignant doit proposer à ses élèves la perspective de refaire pour libérer l’anticipation motrice.

Il en est de même dans les disciplines intellectuelles. Pourquoi certaines personnes ne prennent pas en compte leurs fautes dans les dictées ? Nous pensons qu’elles le feraient si on leur proposait de les refaire. De même en mathématiques ou dans d’autres disciplines. Ils vivent leur scolarité comme une succession de tâches sans lien apparent où il est difficile d’avoir des projets de progrès et donc d’anticiper des modifications de ses actions.

Pour d’autres, c’est une situation de compétition qui va stimuler l’anticipation. Anticiper les actions destinées à battre autrui.

 

Toutes ces situations suscitant l’anticipation peuvent aider à dévoiler les habitudes d’un sujet qu’on cherche à comprendre et pour l’amener à se comprendre. A nos yeux, cette description n’a pas pour fonction de structurer la didactique d’un enseignant.

En outre, cette analyse n’est pas suffisante. Ce n’est pas en mettant des individus dans des situations stimulant l’anticipation que le sujet sera anticipant. L’anticipation reste à produire.

Le sujet qui anticipe est pleinement acteur. Ce n’est pas la situation qui conduira l’acte d’anticiper.

 

B LES CONTENUS DE L’ANTICIPATION

 

L’individu qui anticipe ne fonctionne pas à vide. Il a besoin d’un contenu pour fonctionner. Quel est ce contenu. ? A quoi pense un individu qui se prépare à agir avec son corps ?

Nous pensons que ce contenu n’est pas le même pour tout le monde. Nous avons de véritables habitudes sur ce plan là. Nous allons dresser la liste des objets de sens sur lesquels le sujet peut cristalliser son anticipation au point d’en oublier d’autres qui pourraient donner à l’acte moteur une efficacité plus grande. Les connaître permettrait à l’éducateur de faire une analyse des vécus de conscience de la personne qui cherche à exprimer une habileté motrice

 

1 LES VARIABLES DE LA MOTRICITE

A Les finalités

 

L’anticipation ne peut être réduite à une simple programmation de ce que l’on va faire. Le problème du sens de ce que l’on va faire, peut se poser surtout lorsque ce faire nous est demandé par quelque un d’autre. Cela arrive souvent dans le domaine de l’EPS et des activités sportives en club où un professeur ou un entraîneur propose des exercices. L’élève ou le sportif va anticiper le sens de ce qu’il va faire c’est-à-dire la raison, la finalité de l’activité. Cette raison pouvant être donné ou non par l’entraîneur.

L’anticipation du sens a pour but de libérer la décision de l’engagement et les ressources. Voyant pourquoi je vais faire telle chose, je vais avoir envie de le faire et je vais sentir en moi les ressources se mobiliser. Se donner le sens de nos actions est un moyen d’apprêter le corps.

Lors de son marathon victorieux aux JO de Melbourne en 1956, alors qu’il se trouvait dans une situation de fatigue extrême, Alain Mimoun s’est imaginé qu’il devait sauver sa femme et sa fille enfermées dans une maison en proie aux flammes. Il s’est en outre évoqué sur la plus haute marche du podium tout en entendant résonner la marseillaise. Il a, à la suite de ses pensées retrouvé toutes ses ressources et a pu finir en trombe sa terrible épreuve. Heureuse anticipation.

L’anticipation du sens des actions permet de devenir acceptant des tâches qui vous sont proposées. Mais cette adhésion aux raisons n’est pas rendue automatique du seul fait qu’on l’a anticipé. L’anticipation du sens de l’action est un moyen d’en sonder l’éthique pour moi et pour l’autre. Il n’y a que dans les dictatures et les situations d’aliénation à une autorité où les actes prescrits sont anticipés automatiquement. Eichmann ne se posait pas des questions éthiques lorsqu’il s’agissait d’organiser l’acheminement des juifs dans les camps de la mort. Sonder la problématique éthique suppose de se laisser le droit de faire ou de ne pas faire. Le sujet va anticiper l’action et ses effets pour identifier si la chose est bonne pour moi ou pour l’autre. Si un entraîneur me propose de faire des fautes sur un adversaire redoutable, l’anticipation peut interpeller mes valeurs éthiques et donc m’amener à renoncer à faire cet acte. Cela nous amène à tirer trois conclusions de nos réflexions.

1-L’anticipation suppose une réflexion éthique des actions et une éducation à l’éthique sportive. Le sport doit avoir pour perspective le développement de moi et de l’autre sans faire de tord à moi et à autrui. C’est la seule règle. Le tord est appréhendé dans ses dimensions, physiques, psychologiques et sociales.

2-Une dialectique intérieure est sous-jacente à l’anticipation programmatrice.

3-Au niveau pédagogique, il y a à proposer aux élèves des situations d’engagement différentes pour leur permettre de poser cette dialectique en amont de l’anticipation programmatrice. « Vous pouvez faire des séries de coup droit ou des séries de revers en tennis de table ». L’élève interrogera ses besoins pour faire un choix pour l’une ou l’autre situation.

Si le monde de l’enseignement se désespère du manque d’anticipation des élèves, c’est peut être que l’on a ôté aux élèves le pouvoir de décision. C’est l’uniformité des tâches pédagogiques qui étouffent la capacité d’anticipation. La différenciation des parcours pédagogique est un moyen d’éduquer sa réflexion éthique. Pouvoir choisir, c’est peut être éviter à certains individus de devenir anticipant uniquement dans des situations d’interdits. Il y a des individus qui ne peuvent anticiper que dans les espaces sociaux d’interdictions et ils en sont dépendants parce que l’anticipation provoque du plaisir. On se sent être dans l’anticipation. C’est pour cela que l’éducation éthique par des propositions pédagogiques variés est un moyen d’engager des jeunes âmes dans une voie positive: le développement d’eux-mêmes Mais le monde de l’éducation n’est peut être pas près de l’entendre de cette oreille…

Enfin, l’anticipation des finalités des actions qui nous sont proposées est un appel à la vigilance. En effet, nous avons en nous des habitudes de sens. Par exemple, une personne peut avoir l’habitude de se donner des projets de battre autrui. Le sport a ce sens pour elle. Cependant certains exercices exigent de prendre en compte notre niveau pour que certaines capacités se développent. Imaginez que l’entraîneur propose une série de 10 fois 200m à couvrir en courant avec un temps de récupération de trente secondes pour développer la vitesse d’endurance. Si dès les premiers 200m, la personne tente de rivaliser avec les meilleurs, elle risque de ne pas pouvoir terminer l’épreuve et donc de solliciter des filières énergétiques qui ne sont pas celles que l’on veut développer. La motivation peut être l’ennemi de la réussite. S’interroger sur le sens des actions que l’on s’apprête à réaliser, est un moyen de s’adapter à une tâche. « Qu’est-ce qu’on me demande? » Guy Sonnois estime qu’une des principales causes d’échec à l’école, est le décalage entre les projets de sens des élèves et les projets de sens de l’école. Un des enjeux est de les amener à reconnaître les deux natures projets afin de répondre aux bonnes questions et à ce qui est demandé.

Notre projet habituel peut être relié au nouveau projet. « En quoi cette tâche va-t-elle participer à mon projet personnel ? En quoi cet entraînement en course à pied va m’aider à devenir meilleur en escalade? » Une analyse de son activité est à mener afin de faire émerger les différentes capacités sollicitées dans cette épreuve. On pourra se rendre compte qu’un faible indice de masse corporelle est nécessaire pour s’économiser lors des ascensions. Un faible pouls peut être un moyen d’aborder certaines situations de risques avec calme. Cette analyse pouvant donner du sens pour soi pouvant déterminer une envie d’avenir, une anticipation de l’action proposée.

 

B Les buts

 

Il y a des personnes qui se donnent des objectifs précis avant de prendre part à une épreuve sportive. Le coureur va déterminer le temps qu’il va faire. Souvent, cela correspond à un record personnel. Pour le footballeur, ce sera peut-être de gagner le match. En outre, cet objectif a souvent de la valeur à ses yeux (et aux yeux des autres). Le but peut avoir un rapport avec son passé et avec ce qu’il connaît de ses capacités. L’anticipation de l’objectif participe de la libération des ressources physiques et mentales. C’est cette anticipation qui va mettre l’individu en tension avec son corps.

Il est des personnes qui ne se donnent pas du tout d’objectif. Leurs actions manquent alors de tonus et de liant. Souvent, elles se réfèrent trop aux normes et pas assez à leur passé (à ce qu’elles ont déjà fait) et à leurs ressources. Elles ne se sentent pas capable.

Les objectifs peuvent aussi se décliner en sous buts qui sont autant d’étapes qui permettront de prédire le résultat futur de l’action. Ces étapes qui sont des unités d’actions simples, vont donner au sujet le sentiment que l’objectif final est possible. L’anticipation des sous buts génèrent une anticipation de la réussite. Le coureur de 1500m va découper la distance en 3 ou 4 portions et va établir des temps de passages au 500m, 1000m, 1200m par exemple. Pour quelqu’un qui voudrait faire 4’, il va penser à des passages en 1’20, 2’40 et 3’12. Tout cela est vécu en anticipation dans sa globalité avec la succession des sous buts et un ressenti physique que cela est possible. Il peut y avoir une joie anticipée de la réussite. Cette joie libère des peurs et les ressources. L’anticipation peut donc être libérant.

Seulement, il existe des personnes qui restent figées sur l’anticipation des objectifs. A de la Garanderie a mis en évidence dans son ouvrage sur la motivation qu’il y a des personnes centrées exclusivement sur les fins et d’autres sur les moyens. Il considère qu’une ouverture doit être faîte à l’autre catégorie que l’on a exclu en se cristallisant sur un aspect de la motivation pour que celle-ci trouve son équilibre et son efficacité. Je connais un athlète sauteur à la perche, qui à chaque fois qu’il allait s’élancer, anticipait de battre son record mais ne pensait pas aux gestes eux-mêmes. Son entraîneur avait beau lui prodiguer conseil sur conseil. Rien n’y faisait. Sa technique lui permettait de franchir 3m60 mais pas d’aller plus haut. Il arrêta son activité car celle-ci ne lui apportait plus de satisfaction de progrès. La volonté ne peut exclure les moyens et les techniques pour parvenir à ses fins.

 

C Les actions motrices

 

Nous pouvons penser nos actions motrices avant de les faire. Mais on peut se centrer sur un aspect de celle-ci et ne pas en considérer d’autres.

Un geste se caractérise par l’organisation dans le temps et dans l’espace des différents mouvements du corps, par une logique, par un rythme, une vitesse, une puissance, un relâchement et une harmonisation avec l’environnement physique et humain. Chaque variable peut être anticipée indépendamment des autres. Nous allons présenter chacune d’elles.

 

a-l’organisation

 

Il s’agit de l’agencement et la succession des différentes composantes de la technique. Par exemple, au triple saut, je cours vite, arrivé à la planche, sur le pied gauche, je prends un appel pour faire un bond, je reprends appui sur le même pied, pour faire ensuite un autre bond et retomber sur l’autre pied puis je fais un dernier bond pour atterrir pieds joints dans le bac à sable. Voilà une succession d’actions à produire pour réaliser un triple saut. Ces actions peuvent être anticipées. De même l’ordonnancement de pas de danse dans le temps et l’espace peut et doit être anticipé si l’on veut parvenir à les reproduire.

Il se peut qu’il y ait trop d’éléments à prendre en compte lorsque le mouvement est complètement nouveau. Souvent on va oublier certains éléments. Pour maîtriser l’ensemble des mouvements, on peut soit appréhender la logique qui réunit l’ensemble des actions ou bien on peut procéder par étapes c’est-à-dire par petit morceau. Si le mouvement est une action à ajouter ou à modifier dans une structure plus vaste déjà maîtrisée alors seule cette action est à anticiper. L’anticipation du mouvement complet n’est pas nécessaire. Par exemple, l’élève qui veut corriger sa roulade avant parce qu’il arrive pieds écartés va anticiper uniquement une arrivée pieds joints à la tentative suivante.

 

b-la logique

 

Toutes les actions d’une technique sont liées par des principes d‘efficacité. Un mouvement s‘enchaîne à un autre pour des raisons biomécaniques ou autres. Par exemple, on va ramener les genoux contre sa poitrine pour accélérer la vitesse de rotation lors d’un salto avant. Ainsi un mouvement peut se comprendre. Et il y a des personnes qui ont besoin de comprendre ce qu’ils vont faire pour les anticiper. La compréhension des raisons des actions peut déterminer une adhésion aux actions et donc oriente la pensée vers l’avenir. Il devient désirant d’avenir.

 

c-le rythme

 

On peut anticiper la rythmique indépendamment de la pensée précise des gestes eux-mêmes. La rythmique est l’organisation de temps forts et de temps faibles. Les temps forts correspondant aux moments d’impulsions musculaires et les temps faibles aux moments d’inertie des segments où le sujet laisse le corps être et se mouvoir grâce aux lois physiques et biomécaniques. La rythmique donne au mouvement toute son efficacité. Sans rythmique, le sujet peut être dans une situation de recherche de contrôle continu de son geste alors qu’il doit y avoir des moments de passivité dans le geste. Le mouvement ne nous appartient plus à ce moment là. Le sujet vit alors le présent du relâchement du corps. Il est dans le ressenti du déroulement, dans une attente du moment où il va déclencher la prochaine séquence gestuelle. On voit souvent les athlètes aux courses de haies et dans les lancers, se donner des rythmes avec les mains ou en se parlant, une véritable mélodie gestuelle avant l’épreuve.

 

d-la vitesse et la puissance

 

La vitesse et la puissance peuvent aussi être anticipées. Cette anticipation a souvent pour fonction de les améliorer. Mais elle a besoin de l’action pour que le sujet puisse les anticiper et les améliorer. Après avoir lancé, ou couru, le sujet va ressentir son action qu’il a produite pour anticiper un ressenti d’action où la vitesse et la puissance seront supérieures. Il faut avoir des repères pour dépasser et pour améliorer. Cette anticipation a pour effet de scruter en soi des ressources supplémentaires (nerveuses ou musculaires). Cette vitesse et cette puissance anticipées ont souvent des formes mentales différentes que l’anticipation gestuelle. Elles peuvent être anticipées indépendamment. Souvent, lorsque je demande à des élèves de mettre de la vitesse et de la puissance dans leur geste de triple saut en début d’apprentissage, ils oublient complètement le geste pour la plupart d’entre eux. La puissance et la vitesse ont à être évoquées dans cette situation en même temps que l’organisation gestuelle.

 

e-le relâchement

 

On peut nous faire croire que l’homme doit être volontaire par tout et tout le temps et donc d’être maître de son corps en toute occasion. Mais le corps a besoin d’attention et de soin. Le repos fait partie de l’efficacité. Laisser le corps se refaire lorsqu’il n’est pas nécessaire d’agir dans les situations d’attentes. Il ne sert à rien de contracter tous ses muscles à tout instant. Cela bloque et rend le mouvement étriqué. Il y a à penser le relâchement dans ses actions motrices. On peut considérer cette pensée comme une anticipation de la présence à son corps en repos c’est à dire un ressenti de relâchement lors de certaines phases. C’est une anticipation de ressenti de présent de son corps qui est relâché. Cette présence libère l’individu des peurs et du stress de perdre ou de l’échec. Roger Fédérer a réussi à développer un fantastique relâchement dans ses coups. Cela détermine toute son efficacité technique. Ses coups sont fluides et aucune crispation ne les entrave. Cette grande présence à son corps lui octroie une capacité à gérer le stress dans les très grandes compétitions. Il vit au coup par coup en étant en attente du suivant sans s’inquiéter du score. Il abonde dans le présent grâce au projet de relâchement tout en étant dans une attente du moment où il aura à agir.

 

f- l’environnement

 

Un autre aspect de l’anticipation qui peut être pris en compte est celui du contexte physique et humain dans lequel le mouvement va s’inscrire. Un mouvement s’articule en fonction des conditions spatiales et temporelles du milieu extérieur.

Il y a des élèves qui ne prennent pas en compte l’environnement. Par exemple, lorsque je propose de reproduire une technique de lutte, certains ne prennent pas en compte le positionnement de départ de l’adversaire. Seul le mouvement est anticipé. La technique est en échec parce que le mouvement est mal orienté par rapport à l’adversaire.

De même pour un dribble en football, il doit s’articuler par rapport à l’autre. La séquence gestuelle du dribble a des points d’articulation par rapport aux mouvements de l’autre.

Pour le saut en hauteur, le mouvement se déroule en fonction de la barre et le déclenchement de certaines actions dépend de la position du bassin par rapport à elle.

Ainsi, l’environnement doit être pris en compte dans l’évocation anticipatrice du mouvement. Cela peut se réaliser de deux façons: soit l’environnement est évoqué en même temps que le mouvement, soit le mouvement est évoqué tout étant en situation de perception de l’environnement. Cela permet d’ajuster l’action et de configurer les variables de vitesse, d’amplitude et de déclenchement.

En outre, on voit souvent les éducateurs sportifs aménager l’environnement avec du matériel. Ces aménagements ont pour fonction de faciliter la perception du sens du mouvement qu’il y a à produire.

Le mouvement peut aussi s’articuler en fonction des faiblesses ou bien des habitudes de l’adversaire.

2 LE GESTE D’UN AUTRE

 

Le geste d’autrui peut habiter mon anticipation. Je peux avoir pour projet de faire comme un grand champion. Le grand champion participe à mon développement. Mais les voies d’acquisition du geste d’autrui restent à décrire. Qu’est-ce qui se passe dans la tête de celui qui veut acquérir la technique d’une autre personne? Il y a tout d’abord des personnes qui n’y arrivent pas parce qu’elles n’évoquent pas le geste qu’elles ont vu faire ou bien qu’on leur a décrit.

Chez ceux qui réussissent, il y en a qui revoient la démonstration en images visuelles en mouvement ou en série d’images fixes, d’autres qui se redonnent les consignes verbales ou bien les réentendent dire. Il peut y avoir des évocations visuelles de soi en train de faire qui peuvent être soit en images complètes comme si la personne était dans une tribune en train d’assister à ses actions, soit en images partielles en voyant des parties de soi avec l’environnement qui défile autour de soi comme si on était en train de vivre la scène réelle (c‘est un film caméra embarquée). Ces évocations visuelles s’accompagnent parfois de consignes verbales qui sont souvent des verbes d’actions dont la tonalité d’expression a pour but de déterminer un niveau d’énergie ou bien d’amener une vigilance sur un placement ou sur un rythme. Il peut y avoir des ressentis physiques du mouvement qui accompagnent les évocations visuelles et ou verbales. Ces évocations kinesthésiques peuvent être produites seules sans support verbal ou visuel. Nous estimons sans l’affirmer qu’anticiper les ressentis kinesthésiques du mouvement est une garantie d’efficacité. La traduction kinesthésique du geste de l’autre est une condition de son incarnation.

Ainsi les évocations anticipatrices sont soit en 3ème personne soit en 1ère personne. Les premières peuvent restituer un geste juste mais sans vigueur, sans liant et les seconds peuvent rendre une motricité où ils auront omis ou rajouté certains éléments. Les premiers doivent opérer une traduction de leurs évoqués en 3ème personne, avec leurs images, leurs mots et leurs ressentis corporels et les seconds  comparer leurs évoqués avec soit un évoqué en 3ème personne soit avec la démonstration (il y a des élèves qui demandent à revoir la démonstration).

Au niveau pédagogique, on se rend compte de l’importance des démonstrations de l’enseignant et des explications. L’élève s’en nourrit pour développer sa motricité. C’est à partir d’elle qu’il compose son plan d’action. En outre, l’enseignant a tout intérêt à éveiller les élèves à l’anticipation de les mettre en projet d’évocation. Mais cette évocation ne fait pas tout. Il y a des élèves qui l’oublient en cours d’exécution. Ils ont à se rendre présent l’évocation comme un plan qui va guider leurs actions. Souvent les élèves qui évoquent en 3ème personne oublient leurs évoqués pendant l’action.

On va nous dire que c’est un peu facile tout ça. Suffit-il de d’anticiper un geste avec la plus grande précision dans tous ses paramètres pour pouvoir le refaire. Puis je réussir dans ce cas le triple salto arrière? Non nous n’irions pas jusqu’à affirmer cela.

Nous pensons tout d’abord que la motricité évolue et progresse par étape. Avant de pouvoir faire un double salto arrière, il apparaît nécessaire de maîtriser le salto arrière. Une fois qu’un geste est automatisé, il y a une possibilité d’ouvrir le champ de conscience à de nouveaux possibles. C’est pour cela qu’il faut proposer aux jeunes des apprentissages qui se situent à proximité de la conscience qu’ils ont de leurs ressources.

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3 le geste automatisé ou intégré

 

Ce geste peut être anticipé dans le but soit d’améliorer sa vitesse, sa puissance, sa rythmique ou sa justesse par rapport à l’environnement, soit pour se rassurer. Cette anticipation est souvent de nature kinesthésique et s’est débarrassé des supports visuels et verbaux. D’où la pensée de nombreuses personnes que les gestes ne sont pas anticipés et qu’ils sont libérés spontanément. L’évocation kinesthésique est une pensée au même titre que les images les sons ou la verbalisation. Et souvent ces évoqués sont produits juste avant d’agir. L’action accompagne l’évoqué.

 

Ainsi, le contenu de l’anticipation motrice est variable. Connaître les possibles permet d’ouvrir des horizons de développement et de réussite à l’individu.

 

C FORMES DE L’ANTICIPATION

 

 

L’anticipation n’est pas la même suivant la nature de l’activité. En EPS, il existe de nombreuses classifications des sports. On parle souvent d’habileté fermée et d’habileté ouverte.

Les habiletés fermées concernent les activités qui se déroulent dans un environnement stable, prévisible et dénué d’incertitude. L’activité motrice anticipée sera celle qui sera réalisée.

Les habiletés ouvertes sont des mouvements qui se déroulent dans un environnement changeant où on ne sait pas à l’avance ce qui va se passer. Il y a des possibles. Le milieu naturel comme la montagne et le milieu humain ne sont pas à priori prévisible à moins d’en avoir une connaissance et une expérience.

Pour les habiletés fermées, nous en avons décrit précédemment l’anticipation. Pour les habiletés ouvertes, il y a trois formes possibles.

Tout d’abord, le sujet peut évoquer les situations possibles et les réactions qui en découlent. « S’il fait ça, je ferais cela; s’il se passe ceci, je ferais ça ». L’anticipation motrice vient dans un deuxième temps. « S’il joue à la volée, je vais frapper fort au centre dans ses pieds pour ensuite le lober coté revers ». Il fait revenir en lui ces possibilités motrices en fonction d’un contexte possible. Par cette anticipation, il réduira les temps de réactions pendant l’action.

L’anticipation peut aussi partir des actions possibles. « Si je fais cela, qu’est-ce qui peut se passer ». Et ainsi de suite…Un joueur d’échec. L’anticipation est constituée de véritables algorithmes. Les boxeurs et les judokas et toutes les personnes qui s’adonnent aux sports de combat et qui deviennent très performants, sont ceux qui ont élaborés de véritables scénarios possibles, des enchaînements d’actions sur plusieurs temps.

Cette anticipation peut se composer en fonction des habitudes et des faiblesses de l’adversaire. Il s’agit de réduire l’incertitude en décryptant le jeu de l’autre. Il va chercher à dénicher des récurrences. « Lorsque je joue ça, il fait systématiquement cette action ». Ainsi, je peux anticiper une action pour le contrer s’il s’agit d’un sport de combat. Connaître l’autre ou l’environnement peut réduire les incertitudes et permettre d’anticiper du certain.

La dernière forme d’anticipation dans les activités ouvertes, consiste à rester ouvert à l’inédit, disponible à soi-même et à son corps dans le présent à venir, confiant dans ses capacités d’adaptation dans le moment présent. Le danger d’une anticipation trop précise est de se fermer à l’inédit et de se sentir privé de réaction si une situation non prévue survienait. Une jeune fille m’a fait part de son incapacité à répondre à des questions en mathématiques ou en physique si elles ne correspondaient pas à ce qu’elle avait anticipé. C’est à l’université qu’elle a réussi à développer des capacités d’adaptation à l’inédit. C’est tout le problème des professeurs débutants qui prévoient des cours fermés où l’autre n’a pas d’expression possible. Des anticipations trop précises étouffent l’autre que ce soit moi ou autrui. Je peux devenir l’esclave de moi-même, de mon moi passé en étant soumis à mes programmations. Je peux aussi rendre l’autre esclave de mes anticipations. J’ai un pouvoir sur moi-même et sur l’autre. Mon prévu devant être réalisé, j’en deviens dépendant et j’en rends l’autre dépendant.

Paul Ricœur pense que l’homme doit se penser dans l’avenir comme pouvant prendre des décisions. L’anticipation doit donc porter sur une présence à soi-même, une pensée de soi pouvant trouver de nouveaux moyens en fonction des situations qui se présentent. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas anticiper de façon précise mais qu’il faut être prêt à se séparer de sa préparation si elle ne répond pas à la situation.

Anticiper l’inédit c’est aussi rester ouvert aux ressources corporelles du moment qu’elles soient supérieures ou inférieures à celles qu’on a l’habitude de connaître. Par exemple, le coureur peut avoir prévu des temps de passage lors d’un marathon mais il se peut qu’il soit dans une grande forme et s’il reste fixé à son anticipation précise, il risque de louper la performance de sa vie. De même, s’il est dans une mauvaise forme, cela risque d’être dur s’il cherche à respecter ses temps de passage. Son anticipation doit envisager une possibilité d’adaptation.

L’émotivité, la peur d’être privé de moyens peut être une raison d’une fixation sur une anticipation extrêmement précise et une difficulté à être disponible à soi-même.

Cependant l’anticipation dans les activités ouvertes ne peut pas faire l’impasse de l’apprentissage de moyens techniques précis. Plus la maîtrise sera grande, plus l’individu sera adaptable et pourra répondre aux situations inédites. L’apprentissage des moyens se fera au travers d’exercices qui réduisent ou bien suppriment toute incertitude. Par exemple, faire des séries de revers liftés ou bien de volées de coup droit. L’anticipation dans les habiletés ouvertes suppose d’avoir réalisé des apprentissages précis à l’aide d’anticipation d’habiletés fermées c’est-à-dire où toute incertitude a été supprimée. Des habiletés fermées au service de l’adaptabilité.

En outre, anticiper l’inédit est un moyen de croître et de se développer. Nous dirions que c’est même une condition du développement. Si on n’anticipe que du déjà connu, du déjà fait, du déjà maîtrisé, on risque de stagner à un même niveau d’efficacité et donc de ne pas vivre la joie du progrès. Anticiper l’inédit c’est laisser être sa spontanéité et de faire retour sur, lorsque celle-ci se sera avérée efficace d’une façon toute nouvelle afin de déterminer les conditions d’une reproduction. « Tiens ce revers a été vraiment efficace. Jamais je n’en ai fait un de la sorte. Comment ai-je fait? Quel geste ai-je produit? Quelles étaient les conditions spatiales et physiques de cette action? Je vais essayer de le refaire. ». Si je n’éprouve qu’une joie de la réussite inédite, je risque de ne pas être en mesure de le refaire. C’est pour cela qu’il faut anticiper de faire retour sur les actions inédites afin de faire émerger le « comment faire ».

Ainsi les habiletés ouvertes et les habiletés fermées supposent des anticipations différentes mais complémentaires. Et il est des personnes qui s’avèrent préférer l’une ou l’autre. Nous avons montré les limites de ceux qui s’enferment dans la précision de leur anticipation. Pour ceux qui ont une grande confiance en soi dans leur capacité d’adaptation dans le moment présent, ils vont se retrouver limités car leur bibliothèque de réponses motrices possibles va s’avérer restreinte avec le temps faute d’avoir su les développer dans des situations fermées. En outre, ils peuvent être dangereux pour eux-mêmes et pour les autres lorsqu’ils s’aventurent dans des milieux naturels qu’ils ne connaissent pas et sans aucune anticipation précise simplement avec la confiance en leur capacité d’adaptation.

Habiletés ouvertes et habiletés fermées se nourrissent l’une de l’autre. Le développement exige que l’on s’ouvre à l’une et à l’autre.

 

D LES MOMENTS DE L’ANTICIPATION

 

 

Les habitudes d’anticipation peuvent concerner aussi le moment où on le fait. L’anticipation peut avoir lieu en amont et en aval de l’action et au cours de l’action. Nous pensons que le moment de l’anticipation a à être anticipé si on veut enrichir et changer ses habitudes. Je dois penser à quel moment je dois anticiper.

 

 1-avant l’acte

 

Nous avons fait un tour d’horizon de l’anticipation de l’acte à distance de celui-ci. Ce moment va de soi. Mais ceci n’est pas une habitude pour tout le monde et on peut inviter les élèves à penser à leurs actes en amont de l’action sans que cette pensée soit traduite immédiatement en acte. On dit souvent que penser c’est se retenir d’agir. Souvent les élèves sont en situation de perception action. Poser les actes en pensée avant de les faire est un moyen de les faire progresser et de constituer une pratique sportive intelligente et efficace. Les élèves pourront prendre des habitudes d’anticipation en amont des situations motrices et des tâches intellectuelles.

Nos anticipations de nos actions motrices en amont de celle-ci peuvent se déclencher malgré nous en cours d’action. On peut le remarquer lorsqu’on pense plus vite que notre rythme d’écriture, on en vient à écrire nos pensées sans qu’on s’en rende compte. Deux exemples personnels illustrent cet effet de l’anticipation motrice en amont. Il m’arrive de courir en compétition et de lâcher mentalement. Et souvent mon rythme de course se maintient. Je pense que c’est mon anticipation de ténacité qui en est la cause. Je tiens parce que j’ai anticipé de tenir quoiqu’il arrive alors que j’ai mentalement lâché. Une fois en saut à la perche, il m’est aussi arrivé de voir l’action de maintien du présenté de la perche survenir sans que j‘y pense. Je l’avais simplement anticipé avant de m’élancer. L’anticipation en amont comme une faculté de programmer son inconscient moteur et comportemental.

Dans le même ordre d’idée, penser l’échec avant de s’élancer c’est le programmer. Penser qu’on va échouer va déterminer l’échec. J’ai souvent vu des élèves en situation d’échecs répétés qui avaient anticipé en fait un échec.

Enfin, l’anticipation en amont est un moyen de ne pas se faire submerger par son émotivité. Surtout dans les grandes occasions. Ne pas anticiper c’est prendre le risque de se retrouver dans une incapacité à répondre. Souvent les personnes émotives en situation d’examen sont celles qui ne préfèrent pas anticiper car elles entrevoient l’émotivité et l’échec dans l’avenir. Aussi préfèrent-elles se mettre à l’abri de l’anticipation qui serait cependant l’instrument qui leur permettrait de sortir de cette dislocation personnelle. Une rééducation de l’anticipation serait à leur proposer.

 

 

2-en cours d’action

 

On peut aussi anticiper pendant le déroulement de l’action. Cela s’avère parfois nécessaire. En effet, il y a des habitudes de mouvement bien ancré que l’anticipation motrice en amont de l’action n’arrive pas à défaire. Et cela d’autant plus, lorsque le mouvement se déroule à grande vitesse. Il faut alors anticiper, le moment le lieu où on devra être présent à soi-même en train de penser le geste. Ce moment et ce lieu ne doivent pas se situer au moment où l’action doit se réaliser car il sera trop tard. Il devra être en amont.

Dans les situations d’actions où le sujet doit résoudre des cascades de problèmes, la constance évocative de ses actions que ce soit de façon verbale ou visuelle ou kinesthésique pendant l’action est un principe d’efficacité. Par exemple sur le terrain de football, je me parle à moi-même en permanence ce que je fais ou bien je me commente les évènements ou bien ce que je viens de faire. C’est-ce qu’on appelle la concentration. Cette présence permet encore une fois de dépasser le stress de l’échec ou des enjeux.

 

3-après l’action

 

Le développement de la motricité nécessite un retour sur la production, sur l’action. Il existe des personnes qui sont toujours porté vers l’avant, vers l’avenir sans jamais faire retour sur. Par conséquent, ils n’évoluent pas. Ils font mais ne progressent pas.

Ce temps d’analyse n’est pas un réflexe. C’est l’individu qui accorde du temps à ce retour. Il peut le faire ou ne pas le faire. Aussi faut-il anticiper la rétroaction. C’est cette rétroaction qui donnera sens à une nouvelle anticipation lorsque la personne recommencera son action. Elle aura détecté au cours de sa rétroaction un aspect du mouvement à modifier. Cet aspect sera l’occasion d’une anticipation. Donc anticipation et rétroaction sont deux actions mentales indissociables qui se nourrissent l’une de l’autre dans une perspective du développement de la motricité.

Mais sur quoi doit agir cette rétroaction? Elle a une structure. C’est une réflexion du réalisé sur le plan d’action ou du réalisé sur l’effet du réalisé.

Il s’agit tout d’abord de savoir si on a bien réalisé ce qu’on a prévu. Le sujet va comparer les ressentis de ses actions avec ce qu’il voulait faire. Mais la connaissance de ce qui a été réalisé n’est pas aussi simple et cela peut exiger une anticipation. C’est-à-dire que le sujet va refaire son geste pour savoir ce qu’il fait. Il y a une certaine aliénation avec son corps. Il fait silence ou bien on est sourd à son expression. Il s’agit donc d’anticiper un projet de sens de connaître son corps en mouvement. « Cette roulade avant, je ne sais pas si je me relève avec les pieds joints ou écartés ». Je vais refaire et me rendre présent à cette action. Ainsi il y a une anticipation non pas de soi acteur mais une anticipation de soi spectateur de soi acteur pour se connaître dans une perspective de dépassement, une perspective de progrès.

Les rétroactions successives vont permettre au sujet de sentir et de connaître son corps et de favoriser le progrès de la motricité. Au fur et à mesure de l’action, le sujet va ajuster sa motricité à son plan d’action idéal.
Cette rétroaction peut aussi avoir pour but de comprendre les raisons de l’effet de ses actions. Qu’est-ce que j’ai fait pour que mon javelot tourne vers la droite? Je vais alors revivre mon mouvement afin de trouver l’explication pour anticiper après coup une modification. Je peux là aussi avoir besoin de refaire mon geste pour le sonder pour me le rendre plus présent, pour accentuer ma vigilance et ma connaissance de ce que je fais. L’oeil d’un technicien peut venir en aide. Mais nous pensons que nous devons avoir l’habitude de ce projet d’analyse. C’est la base de notre autonomie. C’est cette habitude de projet de rétroaction qui nous rend acceptant des conseils qui sera un contenu de notre anticipation. Souvent c’est l’institution qui s’est emparé de ce pouvoir d’analyse. L’élève peut retrouver cette capacité.

 

Ainsi l’anticipation peut s’exercer à tout moment de l’action : à sa périphérie et en son cœur. Il nous apparaît important de maîtriser et d’anticiper ces lieux d’anticipation. « Avant d’agir, je vais penser à ce que je vais faire ; je vais prendre du temps pour ça. Après avoir agi, je vais retour sur mes actions pour en déterminer de nouvelles ou bien pour les valider ; je vais prendre du temps pour ça. Pendant l’action, je vais être présent à moi-même pour être prêt à modifier mes actions au cas où elles se révèleraient inadaptées ; je vais prendre du temps pour ça. »

 

E LES FONCTIONS DE L’ANTICIPATION

 

 

L’anticipation peut avoir des sens différents et donc remplir une fonction particulière. L’anticipation peut être animée par des projets de sens qui sont spécifiques suivant les individus. Encore une fois, nous allons en faire un panorama afin d’aider les analyses des vécus de conscience dans le domaine moteur.

 

1 déterminer les actes

 

Nous avons vu tout au long de notre exposé qu’on anticipe pour fixer à l’avance ce que l’on va faire ou ce que l’on peut faire. L’anticipation et la rétroaction sont les outils qui nous permettent d’exercer notre volonté. Sans elles, nous serions gouvernés par des arcs réflexes et des automatismes physiologiques. Nous serions pareils à un animal. L’anticipation et la rétroaction nous distinguent de l’animal. C’est grâce à elle que nous pouvons nous détacher de nos habitudes et de nos dépendances. C’est le moyen de nous faire rentrer dans notre humanité, dans la voie du progrès, dans la voie du plus être.

 

2 réduire les risques

 

On anticipe pour sonder les risques des actes que l’on pourrait faire afin de sélectionner ceux qui seront les plus sûrs. J’imagine les actes possibles en anticipation c’est-à-dire que je les fais vivre dans toute leur continuité afin d’en tester les conséquences possibles. Suivant les résultats, je serais en mesure de choisir.

C’est en mesurant les conséquences des actes possibles que je peux en déterminer d’autres afin de me sauvegarder, dans le but d’éviter des dangers et pour prendre conscience des besoins pour la sécurité.

Lors de la première ascension de l’Annapurna l’équipe de Maurice Herzog ont envisagé toutes les voies possibles avant d’entamer le rush final. Terray et Lachenal, à un moment, en eurent assez d’étudier le terrain. Ils voulurent tenter l’aventure. Ils avaient confiance dans leur capacité d’adaptation. Herzog refusa et voulut poursuivre l’étude pour faire prendre le minimum de risques à l’équipe.

En outre, cette anticipation se nourrit de l’expérience et des connaissances du milieu. Par exemple, en alpinisme, on sait que la chute de séracs se situe souvent lorsque le soleil est à son zénith. Aussi faut-il passer à distance à ces heures de la journée. Le coureur à pied va déterminer des rythmes en accord avec la connaissance qu’il a de lui-même, afin de s’assurer la continuité de son effort.

C’est pour cela que les jeunes peuvent prendre des risques. Ils ne disposent pas du capital d’expériences et de connaissances leur permettant de faire les meilleurs choix. Mais Il se peut aussi qu’ils n’anticipent pas l’action, qu’ils ne la vivent pas avant d‘agir. Les épreuves et les échecs vont, progressivement l’amener à y penser avant (à condition qu‘ils ne soient pas fatales).

 

3 libérer le potentiel physique

 

Anticiper permet d’apprêter le corps à l’épreuve, de le rendre disponible et de libérer les ressources qu’il renferme en répétant mentalement les gestes avec les ressentis corporels, avec l’énergie physique que l’on veut y mettre. J.C. Killy répétaient une centaine de fois son parcours avant de le faire dans tous ses détails et à vitesse réelle. C’est dans cette anticipation que résidait son efficacité. Regardez les sauteurs en hauteur avant de s’élancer. Ils se parlent à eux-mêmes, ils esquissent les gestes qu’ils vont faire, ils se repassent le film de leurs actions futures. Tout cela pour apprêter le corps.

 

D stimuler la responsabilité

 

Anticiper le devenir d’une situation présente peut susciter l’engagement de la personne. Elle va penser la situation en spectateur avant d’en devenir l’acteur. Par exemple, il y a des footballeurs qui à partir d’un contexte de jeu, peuvent prédire le contexte suivant. En fonction de ce contexte anticipé, ils vont décider une action motrice adaptée. Cela exige d’avoir une expérience et une connaissance du jeu. « Trois attaquants adverses filent au but face à un seul de nos coéquipiers. Celui de gauche va emmener le défenseur pour libérer les deux autres. Il leur fera une passe et ils seront seuls face au gardien. Autant dire qu’il y aura but. Il faut que j’aille au marquage des 2 attaquants ».

En outre, on peut être la proie d’un surmoi qui est une instance psychique qui interdit, oblige certaines actions. Pour se libérer du formalisme et des devoirs, l’anticipation de son devenir et les effets du non respect du surmoi va amener le sujet à distinguer l’accessoire du nécessaire. « Si je me laisse aller à la cigarette, qu’est-ce qui va se passer? Je vais en prendre l’habitude. Je vais perdre mes capacités respiratoires et sportives. Je peux risquer la maladie. Non je ne veux pas. Je ne vais pas fumer ». Là ce sera un choix personnel et non plus le résultat du respect d’un interdit. Résister à l’interdit, c’est à coup sûr céder à l’avenir. L’anticipation exige tout d’abord une dialectique intérieure et de se laisser une possibilité de céder aux envies pour être dans une situation d’indépendance.

En stimulant la responsabilité, l’anticipation vient ici au service de la libération du sujet de son surmoi. « Si je ne reviens pas en défense comme me demande l’entraîneur, que va-t-il se passer? On risque d’être en infériorité numérique et de prendre des buts ». Par cette dialectique et l‘anticipation des conséquences de la non action ou bien de la réponse favorable à ses élans intérieurs, je me relie à mon avenir et à mes intérêts.

 

E devancer l’avenir pour être apte à répondre

 

Il y a des joueurs de tennis qui ont des services d’une telle puissance qu’il faut se déplacer très tôt pour être en mesure de renvoyer la balle. Pour cela, il s’agit de détecter les signes dans le mouvement de l’autre qui indiqueront l’endroit où l’adversaire va servir. Pour cela, une analyse du service de l’autre s’avère nécessaire. Le but est de faire jaillir des récurrences entre le mouvement et la trajectoire. « À chaque fois qu’il sert au centre, la position de ses deux pieds est toujours la même et son lancer de balle est à l’aplomb de son épaule gauche. En revanche, lorsqu’il sert à droite, ses pieds ne sont plus placés au même endroit et son lancer est décalé sur la gauche ». Sachant cela, je pourrais être apte à renvoyer des balles qui peuvent aller à plus de 240 km/h. Tous les joueurs n’ont pas la même capacité à renvoyer les services les plus rapides. Agassi et fédérer ont réussi à développer cette qualité. En outre, Sampras et Fédérer sont des joueurs ayant des services très efficaces car ils ont la capacité à ne donner aucun signe qui pourraient indiquer la trajectoire future de leur service. Leur lancer et leur position de départ sont toujours les mêmes quelque soit l’endroit où ils vont envoyer leur balle. Par leur technique, ils mettent l’adversaire en difficulté d’anticipation malgré une vitesse de service qui n’est pas dans les plus rapides. Ici, il s’agit de prendre des indices à un moment déterminé pour imaginer quelle sera la situation à venir pour être apte à répondre. La pression temporelle est tellement forte que je dois anticiper.

Dans les situations de compétition, souvent les joueurs cherchent à susciter des anticipations chez l’adversaire pour mieux le contrer et le mettre dans une impossibilité de répondre. C’est le cas des feintes en football chez l’attaquant qui balle au pied fait des mouvements de corps pour aller dans un autre sens. C’est aussi le joueur de tennis qui envoie la balle à gauche et à droite plusieurs fois et qui attendant le joueur changer de côté après un coup, renvoie la balle du même côté. C’est ce qu’on appelle le contre pied.

Il y a aussi une anticipation de l’avenir destinée à identifier les éléments dont j’aurai besoin. Par exemple, je vais donner un cours d’endurance à mes élèves de 5ème. Avant de partir, je m’imagine dans la situation pour savoir si je n’ai rien oublié. Tout d’un coup, lorsque je me vois en train de donner des temps à mes élèves et de leur donner des signaux sonores, je me rends compte que je n’ai pas pris mon chronomètre et mon sifflet. Je fais cette action avant de quitter mon logement pour me rendre dans mon établissement. Si je ne le fais pas à ce moment là, il risque d’être trop tard pour rentrer chez moi pour récupérer ce que j’ai oublié. Je ne pourrais pas répondre aux exigences de la situation.

Ainsi penser mon avenir, est un moyen de m’y préparer et de déterminer mes besoins. Préparer une aventure en haute montagne par exemple, exige de vivre avant l’aventure pour lister l’ensemble des besoins.

 

L’anticipation peut donc avoir des finalités différentes lorsqu’on s’apprête à agir avec son corps. On peut s’enfermer dans une nature de projet de sens. Avoir conscience qu’il y a d’autres raisons d’anticiper ouvre l’individu à d’autres horizons de sens et donc une dimension de potentialité d’être plus grande.

 

F Les structures de l’anticipation

 

Avoir la connaissance des différentes formes d’anticipation, des moments où on peut le faire, des objets de sens qui peuvent l’habiter, des projets de sens qui peuvent l’animer n’est pas suffisant pour amener l’élève à devenir anticipant. Mais, nous sommes encore trop périphériques. Nous pensons que l’acte lui-même reste à décrire. C’est une condition de sa mise en œuvre. C’est une condition de la transcendance de l’être humain.

L’anticipation n’est pas une pure immersion dans l’avenir. Elle n’est pas une simple programmation. Elle aboutit à un programme plus ou moins précis. La notion de futur constitue certes la structure du temps fondamentale. Mais nous pensons que les autres structures que sont le présent et le passé, interviennent pour participer à la détermination de l’acte moteur. Nous pensons que le sujet qui anticipe, met ces trois structures en dialectique afin de faire émerger un acte à produire ou bien pouvant être produit. Pour être plus précis, cette dialectique est un dialogue entre une situation motrice qu’on se rend présent à soi-même par une activité perceptive et évocative, un ou des projets et une réflexion sur ces projets et cette situation motrice à partir de moyens acquis et des connaissances du monde que son expérience a constitués.

Le présent concerne le présent du corps. Il s’agit des ressentis de ressources, de sa position physique et de mouvement actuels. La vie intérieure corporelle est une partie de notre présent. Mais le présent est représenté aussi par le monde extérieur qu’il soit physique ou humain. Une paroi de montagne ou les déplacements d’un adversaire est un présent. Et le mouvement doit tenir compte de ces actualités pour s’y inscrire et pour se constituer. Ne pas le prendre en compte c’est prendre un risque physique. Et c’est risquer l’échec.

Le passé est représenté par notre expérience motrice c'est-à-dire toutes les habiletés que nous avons développées au cours de notre histoire .Mais il représente la connaissance des lois de la réalité qui nous permet d’imaginer l’avenir d’un présent. Les lois concernent aussi bien le monde physique que le monde humain dans toutes ses dimensions. C’est pour ça qu’on peut dire que nous avons le monde en nous.

L’avenir est constitué de nos finalités et de tous nos projets de sens. Mais il s’exprime aussi par les échéances qui sont extérieures à moi.

La confrontation de ces dimensions du temps fait jaillir des sentiments de réussite, d’échec,  de peur, de joie qui détermineront le positionnement d’un acteur.

Si une structure n’était pas prise en compte dans l’activité anticipatrice du sujet, l’adaptation motrice s’avèrerait difficile. Les difficultés d’une personne peuvent s’expliquer par une majoration d’une dimension du temps au détriment d’une autre. Il y a la personne qui vit uniquement dans le présent, dans des futurs proches sans les relier à un passé et à une étoile. C’est la crevette qui va à gauche à droite sans direction définie. Sans finalité, sans origine.

Il y a la personne qui vit uniquement dans son passé sans s’appuyer sur pour progresser et se développer. Revisiter son passé est son actualité. Ses projets sont de revivre au présent son enfance.

Il y a la personne qui est toujours au-delà de lui-même, toujours en avant. Mais son anticipation ne tient pas compte du présent et du passé. A chaque fois, on repart de zéro, on fait table rase du passé. Mais avec une telle habitude, on est condamné à revivre toujours les mêmes situations. On ne peut sortir de son passé.

Certaines dimensions du temps sont surinvesties pour s’échapper d’une autre. On fuit des données du temps car elles nous font souffrir ou peur. L’angoisse de mort peut nous amener à nous détourner de l’avenir. Penser à l’avenir, c’est se rapprocher un peu plus de notre fin. On préfère s’en détourner en s’immobilisant dans le passé ou l’instant. La religion peut être un moyen de s’ouvrir à la dimension d’avenir. Les travaux actuels d’Antoine de la Garanderie sur Teilhard de Chardin vont dans le sens d’une compréhension de la destinée théologique de l’homme. Le développement de l’être humain est un cheminement vers le créateur.

Le passé peut faire souffrir. Revivre ses actions passées peut être synonyme de sentiment de culpabilité ou d’infériorité. Je me sens coupable du négatif que je revis. Je me sens nul quand je repense à mes actions. Donc je préfère m’isoler dans le présent ou m’enfuir dans l’avenir. En outre, la dépendance à une tutelle peut empêcher de prendre en compte son passé puisqu’on est habitué à ce que ce soit un tiers qui apprécie nos actions.

Le présent peut avoir un sens négatif. On peut ne pas aimer son corps, avoir le sentiment qu’on est incompétent, limité. Ainsi, on préfère ne pas prendre en compte ses ressources actuelles. L’habitude de porter un regard sur ses vacuités est une explication de cette non prise en compte de sa réalité actuelle. Dans ce cas de figure, le dénigrement d’autrui est un moyen d’accepter sa condition présente. J’échappe à moi-même par autrui.

Les explications possibles des problématiques temporelles d’un être humain sont multiples et complexes. Il ne nous appartient pas ici d’en faire une étude approfondie.

Cependant, l’éducateur doit faire valoir auprès des élèves la nécessité de prendre en compte ces dimensions temporelles lorsqu’ils anticipent. Il s’agit de tenter de leur faire prendre en compte le présent de leur corps et de l’environnement, de faire retour sur leur passé, et de les amener à être en projet de progrès.

Ainsi une anticipation qui prendra en compte les différentes dimensions du temps permettra à un sujet de cheminer, de se développer.

Mais la qualité de l’anticipation n’appartient pas à l’éducateur. C’est au sujet qu’il incombe de conduire son anticipation. Pour cela, il doit savoir ce qu’il a à faire. Et là, c’est tout l’art et la science de l’éducateur qui interviennent pour que les structures soient mises en lumière dans la conscience de l’élève.

 

 

 

 

 

Conclusion

 

Au cours de cet exposé, nous avons cherché à montrer que l’anticipation ne pouvait se résumer à une simple programmation. La programmation est le fruit d’un dialogue avec soi-même mettant en jeu les différentes structures du temps. Notre ambition était de fournir des moyens de se libérer de ses habitudes d’anticipation et d’accéder à un contrôle de cette conduite mentale.

Nous nous inscrivons au cœur d’une problématique éducative et existentielle car l’anticipation est nécessaire au développement de soi. Cependant, elle peut servir le mal et le pouvoir. C’est pour cela que le développement de soi doit être sa finalité. Et dans le domaine moteur, elle favorise aussi un développement. Nous irions jusqu’à dire qu’elle est une condition de l’incarnation, de notre unité d’être, un moyen de s’unir à son corps. Ainsi, considérée, elle est l’outil de notre individuation.

Bibliographie

 

A. de la Garanderie, « La motivation » le centurion 1991

A. de la Garanderie, « comprendre et imaginer » le centurion 1987

J.P. Famose, Ph. Fleurance, Y. Touchard « l’apprentissage moteur, le rôle des représentations » éditions de la revue EPS, 1997

J. Lacroix, « l’échec » PUF 1964

P. Ricœur, « philosophie de la volonté, le volontaire et l’involontaire » Aubier philosophie 1950

R.A. Schmidt « apprentissage moteur et performance »  revue EPS 1993

G. Sonnois, « accompagner le travail des adolescents avec la pédagogie des gestes mentaux » édition chronique sociale. 2009

 

23 avril 2015

les vertus de l'enseignant

 

En matière d’éducation et de pédagogie, il est courant de dire qu’il n’existe pas une méthode, qu’il n’y a pas qu’une façon d’enseigner. On enseigne avec ce qu’on est. Mais cette formule mérite réflexion. Si tout notre être est engagé dans l’acte d’enseigner, si on ne peut réduire cette mission au simple fait de transmettre du fait de la relation avec l’autre, on peut néanmoins se demander si on peut s’improviser enseignant sans se demander quelles sont les qualités personnelles que suppose l’accompagnement cognitif d’un tiers. Faut-il quelqu’un de ferme et d’exigeant ? Faut-il quelqu’un d’accueillant et de compréhensif qui mettent en confiance les élèves ? Faut-il quelqu’un de dynamique et motivant qui donne envie d’apprendre ? Souvent chaque qualité semble en exclure les deux autres. C’est comme si la fermeté empêchait la chaleur de la relation, le développement de la motivation des élèves ne permettait pas l’exigence. Souvent les conflits ou les différends entre enseignants dans nos écoles sont le fruit de ces différences de conception. On juge l’autre en fonction de soi. La différence est appréhendée sur un plan moral. Ce qui n’est pas moi, est considéré sur un mode négatif.

Nous estimons que toutes ces conceptions sont légitimes et qu’elles se complètent. Notre analyse s’appuie sur les réflexions d’Antoine de la Garanderie à propos du sens de l’autre que l’on retrouve dans son ouvrage paru en 2006 : « le sens de l’autre de Lévinas à Teillard de Chardin ».

Quoi de plus normal de se pencher sur cette problématique du sens de l’autre lorsqu’on a pour mission de participer à l’épanouissement cognitif d’autrui. Cette centration sur l’autre peut passer au second plan dans notre société où la technocratie et les aspects administratifs ont pris une importance prépondérante. Le savoir étant la fin de l’enseignement. L’autre devant se soumettre à cette dictature. Dictature des textes et des programmes. Il faut boucler le programme. La réflexion et la maîtrise didactique certes essentielles, ne doivent-elles pas faire une place sur cette nécessaire ouverture à l’autre et à ce sens de service à rendre à autrui. Maîtriser les connaissances à enseigner mais aussi maîtriser les connaissances sur l’homme, sur l’autre.

Dans son ouvrage, Antoine de la Garanderie met en dialectique les conceptions de l’autre de deux philosophes : Lévinas et Teillard de Chardin. 

Lévinas considère que l’autre ne peut constituer un objet de connaissance. En tentant de le connaître, on le ramène à ce que nous sommes. On retrouve en l’autre notre propre moi. En fait, on le réduit au même. On anéantit l’altérité. L’autre est à une distance infinie de ma possibilité de le connaître. Il résiste toujours à mes tentatives. Pour chaque tentative, il restera toujours de l’autre qui ne pourra pas être réduit à celle-ci. Je ne pourrais jamais affirmer que je connais l’autre sinon je l’anéantis. Sitôt investi par la connaissance, l’autre meurt. L’infini qui me sépare de l’autre, est le signe de mon impuissance fondamentale que je dois accepter et qui m’insigne le devoir de ne pas lui faire de mal. La destinée de l’homme est de se dénoyauter de son propre moi car il est une menace pour autrui. 

Antoine de la Garanderie, en décrivant les conceptions différentes de Teillard de Chardin, s’inscrit en faux non qu’il s’oppose à l’interdit de ne pas faire de tord à autrui mais il estime que cette éthique est le fruit du développement et de l’épanouissement de son propre moi. Sentant que j’ai un moi à conquérir, je peux considérer que l’autre a la même exigence. Il estime que l’homme doit se reconnaître qu’il n’est pas son moi mais qu’il a un moi. Son moi, par le truchement de son corps, lui est prêté. Il n’en est pas l’auteur seulement un dépositaire. Et à l’instar de Paul Ricoeur, il estime que l’être humain n’est pas une donnée mais qu’il a à être. Cette considération l’amène à dire qu’il y a à s’appréhender tout comme un autre c'est-à-dire qu’il y a d’une part les mêmes lois en moi que chez l’autre et d’autre part qu’il y a une part d’étranger en moi que je peux connaître, et que l’autre est tout comme moi c'est-à-dire que les mêmes lois qui me régissent, peuvent aussi régir l’autre. 

Aussi l’autre tout comme moi sont en puissance de connaissance. Je peux par mes vécus de conscience sentir l’autre. Pour Teillard de Chardin, la conscience est sentante et elle peut accéder au sentiment de l’altérité non pas en jaugeant uniquement des différences.  Ainsi, je ne risque pas de réduire l’autre au même par mon activité cognitive. L’homme s’ouvre à l’exigence de connaissance par la rencontre intérieur de trois infinis que sont l’espace, le temps et le mouvement. Pour Teillard, ces infinis sont des puissances qui sont à la disposition de l’homme pour d’une part accéder au sentiment d’être et d’autre part pour cheminer vers l’autre pour rencontrer l’autre. Il n’y a donc pas d’opposition entre l’activité cognitive et le respect d’autrui. 

L’activité cognitive est la vocation de l’homme. Le sens est à investir. C’est la voie qui se propose à l’homme pour qu’à la fois il se trouve et rencontre autrui. Il y a une co-naissance de moi et de l’altérité dans ma conscience par l’activité cognitive. J’accède à la fois à la conscience de moi et à la conscience de l’existence d’autrui. 

Ce pouvoir de sens n’est pas un bien qui s’acquiert. On chemine selon des lignes de sens. On ne peut accéder à l’être que par le cheminement et donc le plus être. Car si le moi pouvait être acquis une fois pour toute, l’être humain serait pareil à un dieu et n’aurait plus besoin d’agir et donc de vivre. L’être est une constante conquête. Pour cela, l’homme a besoin de sentir la présence d’infinis pour se mettre en activité de libération du sens. Antoine de la Garanderie nous dit que l’infini se décline en trois infinis : l’espace, le temps et le mouvement. Chaque individu s’engage de façon personnelle dans un des infinis qui se proposent à lui. Mais les trois dimensions doivent être prises en compte pour accéder au sens du monde et de l’autre dont les structures sont toujours une synthèse d’espace de temps et d’infinis. Mais on a besoin d’investir l’une pour aborder les deux autres. 

Il associe chaque dimension du sens à une vertu qui est pour lui théologale c'est-à-dire qu’elle permet de cheminer vers l’Autre, c'est-à-dire le créateur, la divinité. Ces vertus sont la foi pour l’espace, l’espérance pour le temps, et la charité pour le mouvement. 

Et chaque vertu représente une dimension de la mémoire spécifique : mémoire du passé pour la foi, mémoire de l’avenir pour l’espérance, et mémoire du présent pour la charité. Je crois en la présence de pouvoirs êtres. Je peux en témoigner. J’en ai l’expérience. Je suis dans une pensée de l’avenir. J’espère l’avènement du sens. La charité correspond à la mémoire du présent, des ressentis de relation, de mouvements, de relations avec le monde avec l’autre, avec moi-même. Je vis le présent. J’ai une présence au présent. 

Il y a des hommes qui se constituent davantage par la foi, d’autres par l’espérance et d’autres par la charité.

Les conceptions éducatives et les vertus de foi, d’espérance et de charité.

 

Nous estimons que les conceptions des enseignants leur sont inspirées par la façon dont ils abordent le sens : soit par l’espace ou par le temps ou par le mouvement. 

Ils estiment que leur conception selon leur logique est la voie à suivre. Elle est celle qui permet d’accéder au sens. Donc quand ils voient des enseignants emprunter une autre voie, en toute bonne foi, ils les jugent dans l’erreur. De l’erreur, on arrive souvent aux reproches, aux griefs, à des conflits à des problèmes de personnes. 

Que se reproche-t-on ? 

Trois grands types de reproches ou de critiques.

Il y a la rigidité, la démagogie et le laxisme. De là, on étiquette. On parle du psychorigide, du démagogue et du laxiste.

Que dit-on du psychorigide ?

On lui reproche son côté dur et intransigeant, d’étouffer la créativité et la personnalité des élèves en uniformisant les comportements. L’authenticité des élèves est niée. Ils ne reconnaissent ni ne respectent les élèves. Par cette attitude, on estime qu’ils provoquent un rejet de la discipline enseignée.

Que dit-on au démagogue ?

On dit qu’il fait copain copain avec les élèves et de vouloir se faire aimer des élèves. Il n’a pas d’exigence et ne donne pas de direction aux élèves. Il est uniquement en relation et n’a pas de rigueur par rapport au programme.

Que dit-on du laxiste ?

Il met les élèves en activité mais ne contrôle pas leurs élèves, nie ne les sanctionne. Il organise, fixe des objectifs mais ne cadre pas ses élèves. Il n’a pas d’autorité. 

Mais ces reproches qui parfois ne manquent pas de légitimité ne cachent-ils pas une éthique valable sinon essentielle. Nous pensons que les premiers sont des enseignants qui sont mobilisés pas la foi, les seconds par la charité, et les derniers par l’espérance. 

En quoi consiste cette éthique qui les mobilise ?

L’éthique du psychorigide

 

Celui à qui on reproche l’aspect intransigeant attaché au programme, aux savoirs, aux règles d’organisation, n’est-il pas l’homme pour qui la foi est la manière d’aborder autrui et la vie ? 

Il est celui qui a l’expérience du pouvoir être de l’homme et qui est assuré de ses savoirs. Il a une conscience des possibilités de l’homme. Lorsqu’il se retrouve face à des générations qui n’ont pas atteint son degré de conscience, il se croit investit de la mission de leur faire accéder à ces pouvoirs êtres. Il croit en leurs possibilités. C’est en vous. Je vais œuvrer pour que vous y accédiez. Il a la foi dans les capacités qu’ont les élèves à rejoindre des strates plus élevées. Il a la foi dans son savoir dans ses connaissances dans les techniques qui peuvent être acquis par les élèves. Le professeur sait que l’élève peut être performant en saut en hauteur s’il utilise la technique de Fosbury. Le professeur de mathématiques sait que l’élève peut maîtriser le théorème de pythagore. Le professeur de philosophie sait qu’il peut accéder à la compréhension de platon. Il connait ce que les élèves ne connaissent pas. Il sait ce que l’élève est capable dont il ne se soupçonne pas capable. C’est pour cela qu’il est exigeant et ferme. Il ne tolère pas la démission et la fuite parce que c’est un gâchis à ses yeux. La fuite est un crime de lèse humanité. C’est pour cela qu’il s’emploie à court circuiter par une attitude intransigeante par rapport au manquement à l’exigence et une attitude distante qui inspire à l’élève une crainte mêlée de respect. 

Sur le plan de la didactique, il a une idée très précise de la progressivité et de l’organisation des savoirs ainsi que des stratégies pour amener les élèves à leur acquisition. Il y croit. Il a des plans d’action. Il attend des élèves qu’ils suivent scrupuleusement ses instructions, ses exigences car il sait que c’est la voie qui les mènera à la réussite. Son expérience d’enseignement lui donne la force pour exiger des élèves de la suivre. 

L’éthique de l’enseignant laxiste

Il cherche à mettre les élèves en activité, à jouer sur leurs motivations pour qu’ils aient le sentiment d’agir en raison de raisons personnelles. Il est dans la pensée de l’avenir des élèves. Il imagine l’élève en train de cheminer dans sa vie d’homme en train de se débrouiller avec sa vie. Il a une conscience aigue de la nécessaire action de l’élève dans son épanouissement cognitif. Pour lui la transmission n’est pas suffisante. L’élève a à être l’acteur de ses apprentissages. Aussi n’a-t-il de cesse de mettre les élèves au contact des finalités des disciplines et de leur proposer des activités qui sont des espaces de sens pour eux. Il espère que les élèves vont se mobiliser de l’intérieur et qu’il ne sera pas confronté à leur paresse ou bien à leur passivité. Il se sent impuissant face à la décision de l’élève de devenir acteur de ses apprentissages. C’est pour cela qu’il espère. Il cherche à faire valoir aux élèves des lignes de progrès qu’il perçoit dans leurs actions. Il essaie de les persuader. Il cherche à les amener à s’auto-évaluer pour qu’ils perçoivent des lignes et des perspectives de sens. Il ne veut pas être un surmoi pour les élèves. Il se refuse à utiliser des sanctions et à les menacer car il les rendrait dépendant de lui et l’effet de ces actions ne serait circonscrit qu’à l’espace temps scolaire alors qu’il les prépare à leur avenir. Il cherche à leur donner envie d’investir leur avenir. Face à l’inaction, il revoie les élèves à eux-mêmes à leurs échéances personnelles. Il se retire pour amener les élèves à dialoguer avec eux-mêmes. D’où une interprétation de laxisme. 

De même il les met dans des situations de choix en leur proposant des alternatives. Ils peuvent alors se réguler et ne vont pas rentrer en rapport de force avec l’autorité. Ils se rencontrent. L’enseignant lui désigne un avenir possible. Il cherche à les mettre dans des situations de projet et éviter les impasses de l’obligation.

L’éthique du démagogue

Il donne une grande importance à la qualité de la relation avec les élèves. Il cherche à les connaître et à les comprendre. Il est celui qui excusera les écarts et les échecs d’un élève en sondant son passé et son actualité familiale et relationnelles. Il cherche les harmonies et a horreur des conflits. Il crée les conditions du bien être et de la libre expression des élèves. « Soyez vous-même » est son leitmotiv. Il ne cherchera pas à leur faire peur. Il cherche à leur mettre en confiance en reconnaissant leurs qualités qui sont déjà là, qui sont leur œuvres, leurs pouvoirs êtres qu’ils ont libérés, qu’ils ont libérés qu’ils ont mis en acte. Il prône le plaisir d’agir. C’est au travers de cette relation que les élèves seront acceptant de ses propositions. Par le bien être qu’ils vivront au quotidien, ils s’attacheront à la discipline du professeur. Il considère les aspects relationnels comme un préalable essentiel à l’apprentissage. Il cherchera à établir de bonnes relations entre les élèves en proposant des travaux collectifs. Il privilégiera les affinités. Il connait les ressorts des dynamiques de groupe. N’ayant pas peur, les élèves vont facilement à sa rencontre. De l’extérieur, on le jugera de démagogue. Pour lui, l’élève a besoin de sentir, qu’il a des qualités pour avoir envie d’apprendre, qu’il a été capable d’accéder à la connaissance pour lui donner envie d’en reproduire l’effet. 

Même si l’éthique de ces différents enseignants est légitime, on peut se demander si l’excès de l’une et le manque d’une autre ne déséquilibrent  pas l’enseignement d’un professeur. 

Limite, excès et manque de vertu

Antoine de la Garanderie montre qu’il peut y avoir des défaillances théologales dans le chemin de vie d’une personne. Il dit à la page 86 : « nous ne nions pas que les êtres humains puissent vivre des défaillances théologales. […] L’être humain qui enferme la foi dans un je pense sombre dans l’intégrisme, celui qui l’enferme dans l’espérance dans le progressisme, si c’est dans la charité, ce sera dans ce qu’ont peut appeler l’anarchisme du cœur. »

Quels sont les effets de ces excès ou de ces manques de vertu dans la mission de l’enseignant ?

L’excès de foi

L’enseignant qui croit fermement dans l’existence des pouvoirs êtres de l’homme peut oublier l’autre qu’il a à servir. Il devient le serviteur du programme et du savoir et peut être de lui-même. Il a la foi en lui, en ses acquis et cherche à faire en sorte que les élèves aient foi en lui. Mais peut être oublie-t-il de faire en sorte que les élèves aient foi en eux, foi en leurs qualités, en leur avenir. Il oublie la charité et l’espérance. Il mesure toujours les élèves à l’aulne de devoirs êtres, d’un idéal à priori valable pour tous. Il va donc avoir un regard négatif. Il apprécie constamment les écarts avec l’idéal. Il empruntera l’impasse de la morale. L’élève n’est jamais comme il faut. Ils empêchent le plus souvent la réalisation d’un cours idéal. En poussant leur logique à fond, le cours idéal serait celui qui se réaliserait sans élève. C’est pour cela qu’il milite pour un retour à l’ordre moral et un redressement de la discipline. Il peut mettre en place un système punitif extrêmement rigoureux et ne s’embarrasse de scrupule pour sanctionner à tour de bras. A ses yeux, c’est aux élèves de s’adapter. Lui doit rester fidèle à ses principes, il doit s’imposer. Il doit toujours être au dessus des élèves et il donner le sentiment de sa transcendance. Il n’a pas à s’adapter. S’adapter c’est donner une image de faiblesse. Il doit montrer aux élèves qu’il est sûr de lui. Il cachera ses faiblesses, ses ignorances et ses erreurs. Son but : être toujours une transcendance aux yeux des élèves. 

L’excès d’espérance l’enseignant

Il est l’homme qui pousse les élèves à être toujours au-delà d’eux-mêmes, d’être en dépassement de soi. Mais cet appel au dépassement de soi et au progrès se fait sans faire référence aux lois à la réalité des possibilités actuelles des sujets. Il peut se passer des lois comme l’alpiniste qui maintient son ascension alors que les conditions lui indiquent qu’il doit rebrousser chemin. Pour passer outre, il faut passer par. 

De même dans une organisation collective, son exigence de progrès et de projet lui font oublier parfois les traditions et les habitudes de son environnement. La tradition peut aussi être au service des progrès. Le progrès se révèle par la mise en place d’un certain nombre d’habitudes. Le changement ne permet pas de forcément de comparer une prestation par rapport à une autre et de mesurer ainsi des progrès. Dans cette perspective, les collaborateurs peuvent ne pas se sentir reconnu dans leur chemin et leurs réalisations passées. 

Il en appelle trop aux actes des sujets et ne pense pas les moyens qui doivent leur être apportés. Les moyens de dépassement de soi n’éclosent pas spontanément du seul fait du désir de dépassement de soi. Il y a faire valoir aux élèves des règles et des lois qui permettent d’accéder à la connaissance au développement de soi.

La charité de l’enseignant

A l’excès, sa réussite se manifeste par de bonnes relations qu’il entretient avec ses élèves. Il cherche à les connaître mais cette connaissance ne repose pas sur un projet de découvrir des ressources que les élèves pourraient exploiter. Il ne cherche pas à faire peur aux élèves et n’a pas d’exigence pour eux. Seul compte être soi même et prendre du plaisir dans l’action. Il organise des activités, fait parler les élèves, valorise leurs actions mais n’a pas de projet de développement pour eux. Seul compte, l’instant du cours et de la relation. Il n’y a pas de lien entre les cours, pas de progression. On navigue à vue. Il se situe au niveau de ses élèves et ne veut pas constituer une transcendance pour eux. Il veut se montrer tout comme eux, comme un être humain, de façon authentique. Il connaît le quotidien scolaire et extrascolaire des élèves, leurs problématiques de relation entre les eux et aussi avec les professeurs. Il entre en confidence et en connivence avec eux. Mais il représente davantage un confident qu’un enseignant. Il ne prend pas d’initiative ni de responsabilité. Il suit volontiers celui qui proposera des innovations ou des projets. Il n’est pas homme de projets ni de réalisations ni d’ambitions. Il est un homme en relation qui cherche des relations.

Ce qu’en pensent les élèves

On pourrait nous rétorquer à juste titre qu’il y a des élèves qui se trouvent très à l’aise avec ces différents types d’enseignements. Leur expérience est une preuve et une justification de leurs conceptions. Mais nous pensons que certains élèves pâtissent de leur style et de leur direction. 

L’élève avec l’enseignant ayant la foi en son enseignement

Certains pourront se sentir très en sécurité avec un enseignant manifestant une fermeté et une assurance dans son enseignement, avec des règles claires, des sanctions prévues et appliquées de façon rigoureuse, des savoirs structurés. L’avenir est prévisible. L’élève se sentant pris au dépourvu, peut voir ses angoisses atténuées.

En revanche, d’autres ayant besoin de nouer une relation positive avec l’enseignant pourra ressentir une forte insécurité et peut être avoir le sentiment de ne pas être aimé. Ces derniers pourront décider de ne pas d’effort et donc désinvestir la discipline.

Ce style pédagogique pourrait amener des élèves à résister à une telle influence qui les étouffe et les emprisonne. Ils éprouveront le besoin de s’échapper. Leurs finalités ne leur apparaissant plus. Ils auront tendance à la fuite et à l’indiscipline. Nous irions même jusqu’à penser qu’ils pourraient défier l’autorité pour restaurer ou sauvegarder un sentiment de dignité personnelle. Ils ont besoin de sentir des espaces personnels d’expression, des espaces de libertés. 

L’élève avec l’enseignant fixé sur l’espérance

Cet enseignement pourra mettre une catégorie de jeunes dans une situation de développement favorable car il répondra à leur besoin d’être mis face à leurs finalités et qu’il leur sera octroyé des espaces de libertés pour les investir, pour cheminer .

D’autres en revanche verront dans ces espaces de liberté une licence à la passivité. Ayant besoin d’être contrôlé et invectivé, ils régresseront vers une forme d’apathie et d’aboulie. La relation ne les stimule pas. 

Enfin cela pourrait désemparer des élèves confrontés à des finalités dont on ne leur fournit pas les moyens de les rejoindre. Ils considèreront l’enseignant comme indifférent à leur égard et peut être même incompétent.

L’élève avec l’enseignant fixé sur la charité

Certains élèves se sentiront très à l’aise et trouveront un grand plaisir à suivre les cours de cet enseignant. Il peut être lui-même et ne ressent pas de devoir être. Ainsi il sent qu’il peut exprimer ses pouvoirs être sans crainte de jugement négatif.

D’autres en revanche, n’aimeront pas du tout la relation que l’enseignant essaie d’établir avec eux. Ils verront cela comme une intrusion, une tentative de corruption, comme un risque de perdre leur esprit critique, leur indépendance, leur sécurité, leur intimité intérieure. 

Enfin des élèves pourraient être en frustration d’objectifs. Ayant des besoins d’échéances, ils n’aimeront pas du tout ce manque de perspectives et auront du mal à trouver des motifs d’agir. 

A la lumière de ces analyses, on peut remarquer que les élèves sont aussi mobilisés part ces vertus théologales et de ce fait ils réagissent favorablement ou non à l’orientation théologales du professeur. Aussi apparaît-il important d’équilibrer son enseignement en s’ouvrant aux perspectives que l’on délaisse. Pour le spécialiste de la loi et des savoirs, s’ouvrir à l’autre, s’ouvrir à l’accueil de l’autre ; pour l’homme de la relation, s’ouvrir à l’ambition et chercher à développer des compétences à transmettre ; pour l’homme de l’espérance et du dépassement de soi, s’ouvrir aux lois et accepter de passer par. 

Freins au développement des vertus théologales dans l’enseignement

Nous pensons que certaines pensées et certaines croyances empêchent de s’ouvrir à ce qui fait défaut dans un enseignement.

-considérer que le don est l’explication de la réussite empêche l’enseignant d’avoir la foi dans la conversion de l’élève, dans ses capacités de dépassement personnel.

-La peur de se faire déborder par le groupe empêche l’enseignant d’octroyer à l’élève des espaces de liberté, d’initiatives et d’actions personnelles.

-Une relation uniquement descendante avec l’élève où la simple vue, la simple écoute permettrait d’accéder au sens, empêche l’élève d’être acteur de sens et donc d’accéder à la connaissance. 

-Appréhender l’élève uniquement sur le plan moral, c’est empêcher de le voir tel qu’il est avec ses qualités actuelles. On voit ce qu’il n’est pas et ce qu’il devrait être. On le prend sur le mode négatif, là où il n’est pas, dans ses espaces vides et pas dans ses espaces pleins. On relève ses fautes. On appréhende les élèves avec des aprioris, avec une idée d’un élève idéal. Avec la morale, nous sommes dans un clonage éducatif. L’élève ne peut pas supporter ce pouvoir qui s’exerce sur lui, cette tentative de s’instituer en surmoi en lui. Un responsable pédagogique de ma connaissance espérait que ses élèves aient le sentiment de sa présence sans être là ! Avec la morale, l’élève doit répondre à des normes ! Mais lui, il attend qu’on s’adresse à sa personne. Et il a raison.  Le système éducatif doit se réformer  en s’orienter davantage vers l’éthique que sur la morale, vers le personnalisme c'est-à-dire amener chaque élève à un cheminement personnel. 

Pour nous ces croyances sont les causes premières de l’échec de l’école française. Et cet échec ne pourra se résoudre qu’au travers une évolution des mentalités enseignantes et une formation la plus complète possible.

Quelle formation

Nous pensons que les trois vertus théologales peuvent être les objectifs d’une formation équilibrée et équilibrante pour les élèves. Il s’agit de développer la foi, l’espérance et la charité de l’enseignant. Nous pensons que la connaissance et la pédagogie des actes mentaux de la connaissance d’Antoine de la Garanderie peuvent intégrer les futurs programmes de formations des enseignants. Jusqu’à maintenant, la formation était uniquement basée sur la maîtrise des savoirs et à une didactique de la discipline enseignée mais la psychologie et les lois de l’apprentissage ont été délaissées. Nous militons pour une ouverture des formations à ces types de savoirs et à une éducation à la relation pédagogique. Nous allons montrer cela en décrivant ce qu’est pour nous la foi, l’espérance et la charité de l’enseignant. 

La foi de l’enseignant

En quoi croit l’enseignant ? En Dieu ? Ce n’est pas le sujet de notre propos. Nous ne faisons pas de prosélytisme. L’enseignant croit dans les pouvoirs être de l’être humain, dans ses pouvoirs d’accès au sens. Il croit en ses possibilités. Il puisse sa foi dans son expérience et sa culture. Il y a deux types de cultures en matière d’enseignement. La culture des savoirs et la culture des actes de connaissance ;

La maîtrise des savoirs et son épistémologie sont des aspects essentiels pour que les élèves sentent qu’ils peuvent envisager de développer leur compétence, que leur enseignant va leur permettre de cheminer et de répondre à leur questionnement. L’épistémologie, c'est-à-dire l’étude de l’origine de l’apparition des savoirs dans le temps montre à l’élève qu’ils ne sont pas une transcendance mais le fruit d’une activité cognitive humaine et donc qu’ils leur sont accessibles. Elle lui montre aussi que les savoirs s’inscrivent sur des lignes d’infinis qui sont autant de possibilités d’action cognitive. 

En outre, l’enseignant maîtrise la didactique. Il connaît les contenus à proposer aux élèves. Il connaît les possibilités des élèves. Il leur propose des contenus accessibles compte tenu de leur culture et de leur niveau de développement lié à sa classe d’âge. Il est capable de répondre à ses incompréhensions. L’élève sentant cette aptitude et cette maîtrise, va l’en respecter comme un maître. Il le sent au-delà de lui-même mais comme un futur lui-même, comme une ressource pour lui pour son au-delà. L’enseignant connaît l’au-delà des élèves que les élèves ne soupçonnent pas. Mais sentant cette foi que l’enseignant aura en eux, ils auront foi en lui.

Il y a aussi, et cela constitue un cruel manque dans la formation des enseignants, le champ des actes de connaissances qui sont de véritables structures mentales qui sont en puissance chez tous les êtres humains qui sont implicitement et intuitivement mis en acte par les sujets qui réussissent dans un domaine donné et en sommeil chez ceux qui , ne les connaissant pas, sont en échec. Ici la foi de l’enseignant se fonde sur le sentiment que tous les élèves possèdent les outils de la connaissance leur permettant d’apprendre. Ces actes de connaissance que sont l’attention, la compréhension, la mémorisation, la réflexion et l’imagination créatrice qu’Antoine de la Garanderie a magistralement décrits, ne sont pas des constructions sociales mais des données de nature qui sont mis en œuvre par les sujets qui se réussissent. Ces actes ont leur loi qui doit être suivi pour qu’ils produisent leurs effets. Si un élève n’est pas en projet d’évoquer un objet de perception, c'est-à-dire de constituer mentalement en image, en, mots, en mouvements cet objet, il sera incapable d’être attentif. 

Ayant la connaissance de ces lois, l’enseignant sait que chaque élève est capable d’être attentif. Sa tâche est donc de les renseigner sur ce qu’ils doivent concrètement faire pour l’être. Sa vocation d’enseignant repose sur cette foi dans les ressources de toute personne. Il croit en la conversion et dans les propres possibles de l’homme.

Il est désastreux d’assister à des appréciations limitatives des élèves, à des enseignants qui considèrent la physiologie et la génétique comme des causalités des différences de performances scolaires. Cela leur permet de faire l’économie d’une remise en question personnelle. L’élève ne peut pas se dépasser. Il est tributaire de sa génétique. Il n’a aucune capacité de dépassement. D’où une considération de l’école comme un lieu de sélection au lieu qu’elle soit un endroit où l’élève se découvre un chemin personnel où il peut faire fleurir ses qualités qu’on aura su lui mettre en évidence.

L’espérance de l’enseignant

Espérer c’est attendre un avenir où du bien apparaîtra. C’est une attente d’effets heureux. Qu’attend l’enseignant ? Il attend que l’élève agisse, qu’il mette en œuvre des actes de connaissance, qu’il cherche à se dépasser. L’enseignant ne peut qu’espérer sur ce plan. Il ne peut rien. Il est impuissant. Ce sentiment d’impuissance est le fruit d’une reconnaissance du rôle d’acteur de l’élève dans ses apprentissages. L’espérance prend le pas sur le désir de pouvoir. Cette espérance évite de chercher à manipuler l’élève avec des stratégies de menaces et de récompenses promises. L’acte d’apprentissage ne peut qu’être initié par l’élève. Apprendre c’est accéder au sens des êtres et des choses, c’est accéder à une maîtrise des savoirs faire. Et le sens, c’est du sens pour soi. Dans cette perspective, la contrainte devient un sens pour l’autre, pas pour soi. Si on se considère comme puissant dans l’action auprès des élèves, on ne les reconnait pas dans leur altérité. Il doit montrer qu’il respecte leur liberté, qu’il la reconnait et qu’il l’espère. Cette liberté est une conduite autonome d’un acte de connaissance, d’un acte de dépassement, d’un acte de progrès. C’est pour cela que l’espérance de l’enseignant repose sur le diagnostique des axes de progression des élèves pour lui donner envie de cheminer. La norme n’est pas souhaitable car elle peut faire croire qu’ils sont trop éloignées d’elle, qu’elle est inaccessible. Il peut faire valoir les puissances de progrès et d’amélioration qui appartient à la personne de libérer. La tâche de l’enseignant qui espère, est d’organiser une pédagogie du progrès et du cheminement, où l’élève peut se mettre en projet de progrès. Les programmes disciplinaires peuvent être préjudiciables à cette pédagogie. Reprendre le contrôle, en refaire un autre, refaire une dictée plutôt que d’avancer pour boucler le programme. Passer d’un chapitre à un autre afin de satisfaire aux exigences du programme peut empêcher l’éveil au projet de progrès. C’est l’espérance qui va guider l’enseignant dans cette mise en œuvre d’une pédagogie du cheminement qui est la seule voie de la liberté.

La charité de l’enseignant

Cet aspect de la tâche peut être associé à de la gentillesse, à de la générosité pour certains et à de la faiblesse pour d’autres. Cette vertu représente pour nous la qualité de l’accueil et de la relation à l’autre. Dans le cadre de la mission de l’enseignant, il s’agit des relations qu’il va tisser avec ses élèves. Quels sont les projets de sens qui orientent cette relation ?

Nous reprendrons les principes du dialogue pédagogique qu’A. de la Garanderie a mis en évidence. Il s’est appuyé sur les travaux de Karl Rodgers , le père de la psychologie non directive, qui a décrit comment l’éducateur, le psychothérapeute pouvaient rentrer en relation. Deux principes fondamentaux sont décrits, l’empathie et la congruence.

L’empathie est la faculté de se mettre à la place de l’autre pour le connaître et le comprendre. Le connaître et le comprendre pour que l’élève se connaisse et se comprenne. Rodgers considère que l’autre ne doit pas sentir de jugement, il doit se sentir accueilli ici et maintenant chaleureusement. Il s’agit d’amener l’élève à prendre conscience de ses ressources, de ses qualités pour qu’il prenne confiance en lui, en la bienveillance de l’enseignant. Cette prise de conscience de soi peut favoriser l’éveil au développement de soi, à l’intérêt qu’on porte à soi et à son avenir. L’expression de soi est encouragée et libérée par le dialogue. A de la Garanderie estime que le dialogue pédagogique est un moyen de faire émerger dans la conscience de l’élève des structures d’actes de connaissance. Pour cela il préconise la re-formulation des dires de l’élève pour l’amener à identifier et à prendre conscience de ses propos.

L’effort de l’enseignant repose sur l’identification du sens qui habite l’élève qui peut demeurer étranger au sens qui l’anime. Ce sens mis en lumière peut permettre à l’élève de se comprendre et à l’enseignant d’identifier ce qui fait difficulté à l’élève. En outre interroger l’élève sur le sens qu’il donne à l’enseignement qu’il reçoit, est peut être le moyen de l’amener à en donner et à effectuer des remédiations sur des erreurs de sens qu’il pourrait vivre. Le sens qui est pour soi, est aussi pour l’autre. S’il l’est pour moi, il l’est aussi pour l’autre. 

L’autre principe à mettre en œuvre est la congruence. Il s’agit de rester soi, de faire sentir au sujet que l’on est un homme et non une instance morale, et donc qu’il y a une distance entre soi et l’autre, une séparation. Un exemple de vie plutôt qu’un modèle. Cette attitude va le renvoyer à sa responsabilité. Si l’enseignant s’identifie à une instance morale, qui sait tout, qui peut tout, sans tâche, incarnant un idéal, l’élève peut être dans une situation de passivité, où il est en attente du pouvoir être de l’enseignant. Rester soi et maintenir une distance, c’est renvoyer l’élève à son pouvoir agir. Etre uniquement dans l’empathie, c’est prendre le risque d’une hyper sécurisation qui va contenter l’élève dans ce qu’il est. Se montrer dans sa différence, c’est s’humaniser et se séparer dans le lien que l’on noue avec autrui. C’est faire saisir que l’enseignant ne peut rien pour lui.

Cependant si la charité de l’enseignant s’exprime par les qualités relationnelles, nous estimons que la relation peut empêcher d’avoir un regard. On peut rentrer en relation et ne plus penser à l’élève une fois celle-ci interrompue. La réelle compréhension de l’élève par l’enseignant se vit dans l’intimité de sa conscience. Il le réfléchit pour mieux comprendre ses motifs. Il prend en compte les données de son actualité familiale et scolaire et de son passé. L’élève n’existe pas uniquement au moment de la relation et du dialogue. Il doit exister en amont et en aval de la relation. On peut porter un regard sur les relations qu’il tisse avec ses camarades, avec le monde et avec lui-même. On est plus à même à reconnaître son altérité. L’élève doit être un autre pour l’enseignant ; un autre à servir et non pas à asservir, une occasion d’exercer son pouvoir.

Conclusion

Au cours de notre exposé, nous avons voulu mettre en évidence que la foi, l’espérance et la charité sont les vertus essentielles de l’enseignant. Spontanément, nous nous appuyons sur l’une d’entre elles pour nous ouvrir aux deux autres. La présence des 3 étant nécessaire pour assurer un enseignement équilibré. Si une s’avère manquante ou bien trop prégnante, l’enseignement sera défaillant. Tout est affaire d’équilibre. 

La pédagogie d’Antoine de la Garanderie est une perspective qui permettrait d’assurer une formation d’enseignant qui offrirait un service de qualité dans les écoles françaises.

Nous terminerons notre exposé par un hommage aux qualités d’enseignant et d’homme de mon grand père. Il n’a jamais voulu s’ériger en modèle. Toujours en exemple. Le modèle implique un clonage humain, on le singe. L’exemple, on s’en inspire, on l’intègre en tenant compte de notre personnalité. Il désirait profondément reconnaître notre altérité et pas de se voir en double.

Il réunissait dans ses actions pédagogiques, ces trois vertus. Il nous faisait sentir dans la relation que l’on avait des qualités et des savoirs faire valables. On se sentait reconnu de l’intérieur. Il donnait souvent à nos pensées une dimension de sens que l’on ne soupçonnait pas. Il était avec nous mais aussi de ce fait au-delà de nous même. Il nous mettait constamment en projet dans une perspective de développement de nos qualités en s’appuyant sur nos goûts. C’est lui qui voyant mon appétence pour le mouvement m’a orienté vers mon activité actuelle de professeur d’EPS. J’ai reconnu en moi ce qu’il avait senti. Il n’y avait chez lui aucune injonction, aucun devoir être, aucune obligation dans la relation. Il avait un profond respect pour la liberté de l’autre. Il le voulait libre et espérait que l’autre réponde à ses propositions en toute liberté. Il n’était pas homme à tirer un parti narcissique de ses résultats et son œuvre. Il voulait être insoupçonnable. Beaucoup de ses actions étaient réalisées dans la plus grande discrétion. Il voulait que le sujet se révèle à lui-même et qu’il devienne tel qu’en lui-même, il pouvait devenir pour qu’il se fasse autre et puisse ainsi accéder à l’altérité, condition essentielle de la relation d’amour. C’est un processus d’individuation qu’il cherchait à provoquer c'est-à-dire permettre au sujet d’être sans avoir le sentiment d’avoir été piloté de l’extérieur. Sa discrétion et sa générosité étaient intimement liées.

Pour cela je lui dois beaucoup. Beaucoup d’autres aussi. Toutes les personnes qui l’ont connu ont été profondément marquées. Beaucoup lui doivent leur épanouissement personnel, leur réussite, sans le savoir. C’est là le couronnement de son œuvre.

 

 

 

3 avril 2015

La professionnalisation de la gestion mentale en question

 

La rareté de ces vrais maîtres de l’âme me paraît être la raison pour laquelle la psychanalyse restera toujours une vocation à la portée de quelques-uns et ne pourra jamais être un métier et une affaire – contrairement à ce qui arrive trop souvent.

Stefan Zweig in Sigmund Freud, La guérison par l’esprit (1932) p.102 éd. Livre de Poche.

Depuis quelque temps, dans le monde de la gestion mentale, on observe que de plus en plus de personnes, suite à une formation et à l’obtention d’un label, ouvrent un cabinet de praticien en pédagogie. C’est un projet qui est fréquemment préalable à la formation. On peut désormais envisager d’exercer le métier de «praticien en gestion mentale», à l’instar du métier de psychologue, de kinésithérapeute...

Cette perspective professionnelle de la gestion mentale n’a jamais été mise en débat. Nous ne voulons ni dénoncer, ni culpabiliser qui que ce soit. Nous pensons que les personnes qui se sont engagées dans cette voie ont été conquises par la perspective de l’aide à rendre à autrui et à soi. L’intention n’est pas à remettre en question. Seulement la façon d’y accéder.

Nous nous demandons si cette perspective professionnelle n’entraîne pas des pratiques qui entreraient en contradiction avec l’esprit de la gestion mentale.

Gagner de l’argent...

Tout d’abord, posons-nous la question de l’argent. Est-ce contradictoire avec l’éthique de la gestion mentale ?

Classiquement, on dit que tout travail mérite salaire. Or, les personnes qui œuvrent en gestion mentale dépensent une certaine énergie en présence et en réflexion. Elles y consacrent du temps. Elles rendent un service qui le plus souvent est demandé et attendu. Donc, quoi de plus normal que d’en attendre une contrepartie financière ? Le psychologue et le médecin demandent bien une rémunération en échange de leur service, pourquoi le praticien ne serait-il pas en droit d’en faire de même ?

Cependant, dans la mesure où cette pratique s’adresse le plus souvent aux familles ayant des revenus suffisants, on peut se demander si elle remplit les finalités sociales et humanistes qui avaient été celles d’Antoine de la Garanderie. Il voulait offrir l’épanouissement à tous et il pensait que cela était possible. N’a-t-il pas écrit l’ouvrage On peut tous toujours réussir ? Notre système éducatif actuel construit chez les individus l’idée que la réussite est le fruit d’un don de nature plus ou moins bien distribué. En fait, il sélectionne les individus en fonction du capital culturel et professionnel de leur milieu d’origine. Il concerne les élèves qui bénéficient d’un environnement porteur d’un sens similaire à celui qui est véhiculé à l’école et qui stimule leur développement culturel, cognitif et physique. Le terrain a déjà été préparé dans certaines familles ; il est donc plus facile d’y jardiner. Certaines habitudes évocatives et certains projets de sens ont implicitement été développés dans ce type de milieu. Mais pas dans tous. Il est vrai que l’échec scolaire existe dans tous les milieux. Néanmoins, il est plus important dans les milieux défavorisés. La gestion mentale a pour vocation d’offrir à tous la possibilité de se développer. Or, si la gestion mentale s’adresse uniquement aux personnes qui ont les moyens de s’offrir les services d’un expert, on peut se demander si elle répond

à sa vocation. Il y a un don de nature dont tout être est porteur. Antoine de la Garanderie s’est battu pour que cela soit reconnu dans tous les milieux sociaux. Il était très enthousiaste lorsqu’on lui faisait part des expériences pédagogiques dans les milieux défavorisés. La gestion mentale participe à la restauration d’une justice sociale. Elle participe du mythe prométhéen. En ne réservant l’accès à la prise de conscience des moyens d’apprendre qu’à une certaine catégorie de la société, participe-t- on au projet humaniste de notre mouvement ?

Il faudrait que nous réfléchissions à des solutions pour s’adresser au plus grand nombre, en cherchant à adapter les tarifs aux possibilités des familles, en contactant les mairies ou des services sociaux qui pourraient être intéressés par les services proposés. On pourrait nous rétorquer que le fait de payer (ou de voir ses parents payer) motive l’individu, comme la psychanalyse qui considère la rémunération comme un aspect important de la cure qui inscrit l’individu dans la réalité. Mais l’accompagnement en gestion mentale s’adresse à des enfants, à des adolescents et à des jeunes adultes qui n’ont pas encore acquis leur indépendance matérielle. L’argent ne peut être un moyen curatif. Néanmoins, il n’est pas à nier la possibilité d’être rémunéré.

Il est facile de demander de l’argent à des familles dans le domaine de l’accompagnement scolaire. Le discours est séduisant et les parents envisagent la perspective de voir les difficultés de leur enfant se résoudre par cette pédagogie. Ils sont donc prêts à tous les sacrifices. Du fait d’un marché potentiel, on peut logiquement envisager d’en faire un métier.

Faire profession...

C’est là, le deuxième axe de réflexion : faire métier de la gestion mentale. Etre rémunéré pour des services rendus n’est pas un problème mais je crois qu’attendre uniquement une rémunération de cette action remet en question les fondements-mêmes de la gestion mentale. La professionnalisation fait prendre le risque de pervertir l’éthique de notre champ.

Faire profession signifie que les personnes vont avoir pour pratique exclusive l’exercice de l’accompagnement cognitif des élèves en difficulté en s’appuyant sur la théorie d’Antoine de la Garanderie. La personne va gagner sa vie par la pratique du dialogue pédagogique.

Imaginons ce que cela implique ? Exercer dans un cabinet exige un lieu d’accueil avec un loyer, de l’électricité, une taxe d’habitation, un mobilier et donc cela nécessite un engagement financier de départ et une rentrée d’argent régulière. Il faut payer des impôts sur le revenu de l’entreprise, des charges liées aux cotisations suivant le régime adopté. Pour l’instant, rien n’a été gagné. Aujourd’hui un revenu de 2000 euros s’avère être un minimum. Il faut à peu près générer 2500 euros de la pratique de la gestion mentale dans son cabinet pour avoir un revenu. Sans compter que les vacances scolaires sont nombreuses et que les jeunes sont les principaux clients. Sur 10 mois, cela fait donc 3000 euros. Comptons 30 euros le cours, il faut donc 100 séances dans le mois pour s’assurer un salaire. Est-on capable de tenir ce rythme sur une année, sur des années ? Mais il est vrai que certaines personnes peuvent éviter ces charges en recevant chez elles ou en se déplaçant dans les familles. Il n’en reste pas moins qu’il reste à se dégager un salaire. Et un salaire régulier. Un salaire pour vivre !

Pour s’assurer un revenu régulier, il faut donc d’une part se constituer une clientèle et d’autre part se faire connaître. Quelles sont les conséquences de ces deux projets ?

Se faire connaître

Ce besoin d’entrée régulière d’argent implique de se faire connaître et au-delà du discours d’accroche d’avoir une réputation d’efficacité. On peut être tenté de forcer la réussite – si tant est que ce soit possible ! – en devenant conseilleur et en construisant des outils qui matérialisent les contenus et qui donnent des gages. Les discours risquent donc de se simplifier autour d’une pensée unique, d’un fonctionnement mental idéal. On construit pas à pas la pensée de l’élève plutôt que de l’éveiller aux actes de connaissance. Ce qui compte, c’est d’être crédible en déclenchant la performance scolaire. On expose notre pédagogie au risque de la systématisation et de la didactisation. Les finesses et les lignes de développement de la gestion mentale n’entrent pas dans une logique de prêt à penser...

En outre, l’un des critères importants de l’efficacité de l’accompagnement risque de se focaliser sur la note. Un bon traitement doit se matérialiser par des progrès en termes de note. Seule compte l’efficacité scolaire. La créativité n’est pratiquement pas sollicitée à l’école. Par essence, elle ne peut pas se noter, s’évaluer. N’est-ce pas pour cela que l’acte d’imagination créatrice est si peu abordé en formation ? La gestion mentale n’a-t-elle pour finalité qu’une réussite matérialisée par des notes ?

Antoine de la Garanderie donnait une dimension ontologique à la gestion mentale c'est-à-dire que l’activité cognitive amène au plaisir et au bonheur d’être. On se trouve en découvrant et en actant ses moyens d’apprendre. Etre en projet de sens et en appétit de connaître constitue la finalité de notre pédagogie. On peut avoir de bonnes notes et ne prendre aucun plaisir au travail scolaire. La gestion mentale est une révolution culturelle et elle a pour mission de faire évoluer l’Ecole. Au lieu d’être un lieu d’empilement de savoirs, où l’on se soumet à un devoir de savoir, elle pourrait être un lieu où l’on développe des motivations pour connaître (et peu importe le nombre). Combien de personnes sortent de l’école en ayant été brillantes et ont par la suite abandonné toute activité culturelle ? La réussite scolaire basée sur la validation d’une possession de savoirs ne préjuge en rien de l’avenir d’un homme. En revanche, s‘il en sort avec de solides motivations, on peut considérer qu’il pourra se constituer un beau chemin.

Se constituer une clientèle

Quelles conséquences sur l’éthique de la gestion mentale risque de générer la recherche d’une clientèle régulière? Lorsqu’un élève est adressé à un praticien, celui-ci va devoir lui déterminer une durée de traitement. Combien de séances ? Ne va-t-il pas être tenté de prolonger le nombre de séances pour assurer son salaire ? Même s’il estime que l’élève n’a plus besoin d’un suivi ? Même s’il se rend compte que sa pratique ne lui est d’aucune aide ? L’objectif devrait être d’amener l’élève à ne plus avoir besoin du praticien et cela dans les délais les plus brefs, alors qu’il a besoin de rentrées d’argent pour s’assurer un salaire. Et lorsqu’un suivi sera interrompu, il faudra en retrouver un autre. Le praticien a donc intérêt à ce qu’il y ait d’autres élèves en échec qui viendront le consulter. On verra d’un mauvais œil l’action d’un praticien qui s’investira sur le territoire d’un confrère. Il pourrait y avoir concurrence entre plusieurs cabinets. Et donc conflit... Rassurons-nous, l’échec scolaire a de beaux jours devant lui...

La professionnalisation de l’accompagnement en gestion mentale ne concourt pas à transformer le système scolaire. Elle le pérennise. Elle le justifie. Il faut aider l’élève à s’adapter au système qui l’a mis en difficulté. On rentre dans la logique de l’école après l’école. Orthophoniste, psychologue,

graphothérapeute, psychomotricien, professeur particulier, stages méthodologiques, de vacances et maintenant praticien en gestion mentale. Tout ce petit monde surfe sur la vague de l’échec scolaire. Il vit des effets pervers du système scolaire. Le système ne doit surtout pas changer. Alors qu’Antoine de la Garanderie militait pour qu’il évolue.

Nous ne remettons pas en cause les professions que nous avons citées. De nombreux cas de difficultés sont de leur ressort et ne sont pas le fait de l’école. Cependant, une partie non négligeable de leur clientèle les consulte en raison des dommages scolaires qui auraient pu être évités si une pédagogie plus appropriée avait été employée.

Conséquences psychologiques

Cette nécessité de rentabilité dans le domaine de la gestion mentale n’entraîne-telle pas des difficultés psychologiques ? La personne n’entre-t-elle pas en scission avec elle-même ? Scission entre son idéal et ses besoins primaires. D’un côté, recherche de la libération de l’autonomie de l’élève, de l’autre, besoin d’argent qui implique une dépendance à l’échec scolaire et à son maintien. Deux projets contradictoires... Scission entre deux natures de rapport à l’autre : d’un côté, accueil de la parole d’autrui et recherche de compréhension de ses habitudes de projets de sens. De l’autre, recherche de construction d’un autrui idéal à l’aide de propositions injonctives qui font espérer l’efficacité scolaire, tremplin pour la notoriété du cabinet. Tiraillé entre deux types de relations, le praticien devient de plus dépendant d’une réussite qui ne dépend pas de lui mais de la responsabilité de l’élève. Sans compter que les parents attendent un retour sur investissement. Tout cela concourt à générer du stress et du mal être. Alors que la gestion mentale a pour projet d’accéder au plaisir de connaître et au bonheur d’être.

Le stress préexiste même à l’ouverture du cabinet. Lors des formations, les personnes vivent des moments personnels délicats car il y a beaucoup d’enjeux pour eux (outre le fait de devoir amortir le coût considérable de leur formation). Vais-je être choisi pour la formation de praticien ? Vais-je être à la hauteur ? La formation devient sélective... Ces questions amènent à vouloir démontrer que l’on possède un savoir en gestion mentale. Cela contribue à créer un véritable paradoxe : comment puis- je contribuer à la confiance en soi de quelqu’un si moi-même je suis dans une situation de doute par rapport à mes compétences? Si je n’avais pas d’intérêt professionnel, il y a fort à parier que je serais beaucoup plus disponible à l’élève, beaucoup plus détendu.

Cette situation n’est pas souhaitable aussi bien sur le plan de l’éthique de la gestion mentale dont l’identité risque d’être faussée que sur le plan de l’équilibre personnel des personnes. Il est de la responsabilité des formateurs de dissuader toute personne qui voudrait prendre cette direction en lui indiquant les difficultés auxquelles elle sera confrontée. Mais le fera-t-on ? Les organismes de formation n’ont-ils pas un intérêt dans l’ère de la professionnalisation de la gestion mentale ? En créant des cursus obligatoires pour accéder à un label, on s’assure un taux de remplissage des formations, les budgets peuvent être équilibrés et les formateurs payés régulièrement.

A mon sens, la gestion mentale est plus une affaire d’esprit que de quantité de formations. Il est des personnes qui auront compris l’essentiel en une journée alors que d’autres n’auront toujours pas saisi l’esprit après 30 jours de formation en un an. Et on peut se demander si la formation professionnalisante ne détourne pas de l’esprit de la gestion mentale par la didactisation et la

formalisation... en transformant les concepts en savoirs hiérarchisés. Du savoir, on en attend du pouvoir et de l’argent...

Alors que faire ?

Si la gestion mentale ne doit pas devenir l’occasion d’ouvrir un cabinet en marge de l’école, quelles peuvent être les engagements d’une personne qui voudrait s’investir dans cette voie ?

Souvent, l’engagement dans la formation est concomitant avec une reconversion professionnelle. Beaucoup de personnes abandonnent leur métier d’origine pour se consacrer entièrement au métier de praticien. Les professeurs désertent leurs classes du fait d’une démotivation à force de difficultés (légitimes) dont on ne voit pas les solutions.

Et si les travaux d’Antoine de la Garanderie redonnaient foi et espérance en son métier ? La gestion mentale n’est pas une fin en soi. C’est le développement dans un domaine donné qu’elle favorise. C’est là toute sa richesse. Elle peut favoriser une formidable conversion de sa motivation et apporter un nouveau regard sur un domaine donné. De nombreux travaux de réflexion ont déjà éclairé des champs professionnels et culturels aussi divers que la musique, le sport, le théâtre, la kinésithérapie, le langage des signes, les mathématiques, l’orthophonie, etc. Et il reste d’innombrables domaines à explorer. La formation en gestion mentale peut redonner du sens à un métier, amener à évoluer de façon originale et à devenir un acteur de l’évolution de sa profession. En ce sens, la gestion mentale peut être à l’origine d’une véritable révolution culturelle (surtout dans le sens de la libération de la liberté). Intéressons nous aux experts d’un domaine comme a pu le faire A. de la Garanderie en son temps. L’idée de la gestion mentale est d’étudier l’indicatif avant l’impératif...

Cependant, même si nous considérons le métier de praticien comme une impasse aussi bien pour l’avenir de la personne que pour celui de notre mouvement, il n’en demeure pas moins que l’accompagnement en gestion mentale est un service que l’on peut rendre à de nombreuses personnes. Il nous apparaît important de ne pas être dépendant de la rémunération que l’on retire de cette activité. Il faut pouvoir vivre sans, et être en mesure d’interrompre ce service si on en ressent le besoin. Cela pour se sentir libre dans le rapport à la personne, en ressenti de pur service. Cela permet l’accueil de l’autre sans crainte d’être incompétent...

Cependant, nous pensons que le principal lieu d’engagement en gestion mentale doit être l’Ecole. Nous devons rentrer à l’école. Nous devons y œuvrer. Pour y faire quoi ? Il y a avant tout à renseigner TOUS les élèves sur leurs capacités cognitives. Des stages de début d’année peuvent être mis en œuvre pour les préparer à aborder l’année scolaire. On peut aussi aider les élèves dans le cadre des études encadrées et d’entretiens individuels.

Il faut que l’élève soit sollicité et invité à évoquer tous les jours. Antoine de la Garanderie nous en parle à la page 219 de son livre Les chemins de la connaissance. C’est dans la relation avec la connaissance que la gestion mentale pourra produire ses effets attendus (bien évidemment les dialogues pédagogiques individuels en marge d’un cours restent une voie essentielle de l’accompagnement en gestion mentale). C’est donc les professeurs et les parents qu’il s’agit de renseigner pour qu’ils puissent accompagner les élèves de façon efficace. On peut aider les équipes d’enseignants à mettre en œuvre une pédagogie qui respecte les fonctionnements mentaux. Tous les acteurs de l’école sont prêts à accueillir la gestion mentale. Faire une conférence pour sensibiliser les

consciences aux réalités des structures cognitives et prévoir des temps d’initiation restent des actions nécessaires mais cela demeure insuffisant pour que cela influe sur les pratiques.

Un statut reste peut être à définir à l’école à l’instar des fonctions d’orthopédagogues qui existent au Canada. Antoine de la Garanderie était favorable à la création de cette fonction dans les écoles françaises. Il en parle dans son ouvrage Les chemins de la connaissance à la page 218. Aussi, il serait peut être intéressant, d’une part de faire rentrer la formation diplômante qui existe au sein de la fédération dans les plans de formation de Formiris, et d’autre part d’engager les chefs d’établissement à programmer un enseignant qui pourrait devenir référent.

Les formations ne sont pas à la portée de toutes les bourses et surtout de celles des enseignants. Qui peut s’offrir les 4 ou 5000 euros que coûte actuellement une formation complète allant jusqu’au label ? Pas les enseignants, qui je le rappelle gagnent 1300 euros en début de carrière. A l’origine, la gestion mentale concernait les enseignants. C’étaient les principaux intéressés et concernés. Il y a un paradoxe actuellement dans le fait qu’ils ne puissent pas profiter des formations et des colloques. S’ils s’engagent dans un processus de formation, c’est le plus souvent pour abandonner leur pratique d’enseignement. La formation est donc un investissement dont on attend des dividendes. Aussi, les formations doivent rentrer dans les établissements scolaires. Elles peuvent être l’occasion de convaincre et être à l’origine de vocations...

Dans cette perspective que retirer d’un engagement en gestion mentale ?

Participer au développement de l’autonomie cognitive, spirituelle, physique et sociale d’une personne donne du sens à sa vie. Sentir que l’on œuvre au bonheur et à la joie de l’autre remplit une vie. On se trouve dans ce service extraordinaire...
L’accompagnement en gestion mentale est avant tout une rencontre avec l’autre. Le temps du dialogue pédagogique est un moment d’une grande richesse qui colore et donne une épaisseur à sa vie relationnelle.

Enfin, il y a la conscience de participer à une noble cause. Pour cela, on doit affronter les difficultés, les oppositions culturelles et institutionnelles. Cela libère la créativité et l’imagination, qui s’orientent vers une réflexion sur les stratégies pour convaincre autrui du bien-fondé de notre option et pour adapter les structures afin que l’Ecole puisse prendre en compte les données de la gestion mentale. Le fait de voir des personnes adhérer et des moyens mis en œuvre à l’école, peut nous faire nous sentir utile. En participant à la recherche en gestion mentale, on peut avoir la satisfaction de participer au développement de l’œuvre et à sa pérennisation.

Lorsque l’on est préoccupé par ces perspectives, se questionner sur le fait de faire métier en gestion mentale paraît complètement hors de propos. Soyons des maîtres et non des praticiens...

Raphaël Hamard

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21 janvier 2015

Enseigner et apprendre

Résumé

Notre recherche s’attache à mettre en évidence l’activité mentale d’un sujet engagé dans un processus d’apprentissage d’une technique corporelle. Elle utilise les concepts issus des travaux d’Antoine de La Garanderie qui a cherché à décrire les actes mentaux de la connaissance. Nos investigations ont montré que la gestion mentale par le sujet des trois temps d’un apprentissage moteur est l’élément fondateur du développement d’une habileté motrice. Cette connaissance de l’activité mentale oriente et organise les actions du professeur d’EPS. Ainsi, il sera en mesure:

  • - d’éclairer les élèves sur ce qu’ils peuvent faire mentalement pour apprendre une technique sportive et les y encourager.
  • - de structurer la séance entre temps d’action du professeur, temps d’activité mentale de l’élève, temps de pratique et temps de dialogue.

Cette reconnaissance de l’éducabilité cognitive dans le domaine de l’apprentissage moteur apporte à l’éducateur des moyens précis pour favoriser l‘autonomie.

 

 

L’articulation des responsabilités de l’élève et de l’enseignant dans la temporalité d’un apprentissage moteur

L’expérience nous montre qu’à niveau égal, certains élèves réussissent facilement à acquérir un nouveau savoir, alors que d’autres apprennent plus lentement ou rencontrent des difficultés. Au-delà du don et de l’effort, comment expliquer ces phénomènes ?

 

Dans le domaine de l’apprentissage des APSA, l’acquisition de techniques corporelles précises fait partie du parcours individuel. Dans les sports de combat comme le judo et le karaté, il existe un ensemble de techniques à savoir utiliser. Les katas en sont une illustration. En gymnastique et dans certaines danses, l’aptitude à reproduire des formes de corps est essentielle à la réussite.

Comprendre cette capacité peut être une aide précieuse pour la pédagogie, l’élève et le pédagogue. Aussi avons nous étudié ce phénomène naturel que l’on pourrait définir comme la capacité à reproduire le geste d’autrui. Nous nous sommes interrogés sur les facteurs clés qui favorisent l’apprentissage de modèles techniques, portant notre regard sur la responsabilité du sujet qui apprend. N’a-t-il qu’à regarder ou à écouter pour être en mesure de refaire ? La capacité à reproduire est-elle supportée par des structures cérébrales ? Il existerait des neurones miroirs qui nous rendraient aptes à imiter ; on parle même pour l’enfant de réflexe d’imitation. Mais les différences de performance dans cette capacité nous indiquent l’existence de facteurs individuels. Nous supposons donc la présence d’une activité mentale qui expliquerait l’aptitude à reproduire des formes de corps.

Pour sonder cette activité mentale, nous utilisons la méthode introspective d’Antoine de La Garanderie et ses principes qui guident ce qu’il appelle un « dialogue pédagogique ». Nous situons notre recherche sur la motricité dans le champ de sa théorie des actes mentaux de la connaissance, qui s’inscrit dans la volonté d’identifier les structures de la conscience cognitive au service du développement de l’élève.

Des dialogues pédagogiques avec une centaine d’élèves en situation d’apprentissage d’une séquence de multibonds mettent en lumière plusieurs phénomènes mentaux à l’œuvre dans la reproduction d’une technique. Ces phénomènes peuvent être décrits comme les structures de la responsabilité motrice de l’élève. Nous estimons que c’est à partir de cette responsabilité que s’articule celle de l’enseignant qui a, comme aurait pu le dire Alfred Binet, à connaître avant de prescrire. Quelles sont ces phénomènes observés ?

  1. 1) Les élèves les plus en réussite mettent en place des actes mentaux centrés sur la reproduction de la structure motrice. Ils la font vivre en eux dans le but de la reproduire, contrairement à ceux qui rencontrent des difficultés.
  2. 2) Différentes formes d’activité mentale peuvent mener à la maîtrise de la technique. On rencontre des personnes qui pensent en image et/ou en se parlant et/ou à l’aide de ressentis kinesthésiques. Ces habitudes mentales entraînent des besoins spécifiques sur le plan perceptif, et donc des difficultés si la pédagogie du professeur n’est pas adaptée.
  3. 3) Les trois temps de la motricité doivent faire l’objet d’une gestion mentale : le temps préparatoire à l’action, l’action elle-même, et la réflexion sur l’action :
    1. a. Le temps préparatoire est composé de deux temps distincts : l’activité perceptive qui se porte sur le modèle (démonstration et explication) ; et l’activité évocative que l’on pourrait définir comme une anticipation mentale du geste, sous la forme de paroles que la personne se dit elle-même, d’images visuelles d’elle-même ou du modèle et/ou de ressentis kinesthésiques. Nous avons observé chez les élèves de véritables allers-retours entre l’activité perceptive et évocative, pour s’assurer de la fidélité de leur évocation avec le modèle. Aussi demandent-ils souvent que l’on remontre ou que l’on réexplique. Les élèves en difficulté négligent le plus souvent cette activité évocative.
    2. b. Le déroulement de l’action elle-même est accompagné d’une activité mentale, contrôlante ou donneuse d’ordres, sous la forme d’injonctions verbales ou d’images visuelles. Là se pose la question du passage du verbe ou de l’iconographie à l’action, de l’extériorité à l’intériorité du mouvement, de la troisième à la première personne.
    3. c. Enfin, le retour sur les actions pour identifier les similitudes et les différences avec le modèle, afin d’identifier les causes des échecs et des réussites, est un authentique acte de réflexion au service de l’amélioration du geste ou de sa reproduction s’il a été réussi. Ici se pose la question de la comparaison entre un ressenti et une norme dans une perspective d’autoévaluation.
    4. 4) Ces actes mentaux existent en potentiel chez chacun. Antoine de la Garanderie parle ici de pouvoir être. 

L’observation des phénomènes mentaux nous amène à une réflexion sur la responsabilité et les actions de l’enseignant : que doit-il faire et quand ? Ses interventions se situent d’une part aux différents temps de la motricité précédemment décrits, par des démonstrations, des explications, des temps de silence accordés aux élèves pour évoquer, ainsi que par des temps de dialogue dans le double but de la prise de conscience par l’élève de ses moyens d’apprendre et de la mise en œuvre de sa responsabilité mentale. La responsabilité de l’enseignant s’effaçant progressivement au profit de celle de l’élève. Cette éducation cognitive amène alors l’enseignant à passer, en reprenant une formule de Heidegger, d’une sollicitude substitutive à une sollicitude devançante.

Bibliographie

Desmurget, Michel. (2006). Imitation et apprentissages moteurs : des neurones miroirs à la pédagogie du geste sportif. Marseille : Solal.

La Garanderie, Antoine. (1987). Comprendre et imaginer, Paris : centurion.

La Garanderie, Antoine. (1989). Défense et illustration de l’introspection. Paris : centurion.

La Garanderie, Antoine. (2004). Comprendre les chemins de la connaissance. Paris : chronique sociale.

Wynnikamen, F. (1990). Apprendre en imitant. Paris :PUF.

 

21 avril 2014

"les psychologues sont scientifiques comme les

"les psychologues sont scientifiques comme les sauvages évangélisés sont chrétiens" Georges Politzer dans critique des fondements de la psychologie

20 avril 2014

L’intégration des activités corporelles impressionnistes en éducation physique et sportive

 

Qu’est-ce ? Quelle est cette chose surnaturelle, insondable et sans nom ? Qui est le seigneur et maître caché, cruel, impitoyable qui use d’artifices pour m’amener à lui obéir ? Tant et si bien que contre toute nostalgie et tout amour humain, je me fasse violence et me pousse, me presse et me rendant prêt à faire ce que mon propre cœur, mon cœur humain n’oserait même envisager ? Achab est-il Achab ? Est-ce moi, Seigneur ou qui d’autre qui lève ce bras ? Mais si le grand soleil lui-même ne se meut pas de lui-même, s’il n’est qu’un messager dans le ciel, s’il n’est point une seule étoile pour accomplir sa révolution sans une invisible puissance, comment ce cœur chétif battrait-il, ce cerveau débile penserait-il, si Dieu n’en est point le battement, la pensée et la vie et non moi.

Herman Melville, Moby Dick, Flammarion (p.542).

Introduction

L’objet de notre communication concerne la place des activités corporelles impressionnistes au sein de l’EPS. Nous voudrions montrer qu’il existe une certaine indifférence voire un hermétisme des professeurs d’EPS à l’égard de ces activités privilégiant exclusivement les activités corporelles expressionnistes. Cette idée est le fruit d’une analyse des articles d’une revue professionnelle bimestrielle, la revue EPS que nous avons étudiée sur une période de 17 ans. Nous avons recensé tous les articles concernant les ACI et nous avons questionné le contenu des articles.

Pour démontrer notre thèse, nous mettrons en évidence le faible nombre d’articles qui ont été publié au cours de cette période. Ensuite nous montrerons que les comptes rendus d’expériences montrent que les ACI restent aux portes de l’école et de l’EPS. Les textes officiels organisant la discipline venant renforcer notre propos. Nous essaierons d’expliquer ce phénomène en montrant que ces expériences mettent en évidence une pédagogie qui va à contre courant de la pédagogie traditionnelle. Enfin nous clôturerons notre propos en montrant tout l’intérêt pour l’éducation physique des jeunes l’apport de ces disciplines.

                                                 *              *               *

 

Avant toute chose, il nous faut définir ce que nous entendons par ACI et ACE :

Les ACI regroupent les activités comme le yoga, la relaxation, l’eutonie, le taï-chi-chuan. Elles amènent le sujet à sentir son corps, à bien s’y sentir, à se mettre en présence. Pour cela, l’immobilité voire la lenteur est recherchée. Une importance est accordée à la respiration en lui donnant son libre cours et à l’amplifier sans rythme et en utilisant l’expiration pour supprimer les tensions musculaires. La souplesse et la libération des tensions conscientes ou inconscientes sont au centre des préoccupations. Le sujet va s’intérioriser et couper momentanément ses relations expressives avec autrui. Ces activités comprennent un ensemble de mouvements ou de postures très codifiés dont l’enseignement passe par un maître.

Les ACE correspondent aux activités où le mouvement a une fonction médiatrice avec le monde extérieur, qu’il soit physique ou humain. Nous retrouvons là l’ensemble des sports, les danses et les activités de cirque. Le mouvement est le produit d’une intentionnalité et cherche une forme d’efficacité. De ce fait, ces activités orientent la présence du sujet vers l’extérieur. A première vue, la centration sur le corps pourrait s’avérer une gageure. Si je pense à mon poignet pendant que je tape sur un clou avec mon marteau, il est fort à parier que je risque d’avoir du mal à accrocher un tableau au mur. Le sentir son corps pendant l’action peut amener à une inefficacité.

A-Un hermétisme aux ACI

1-bilan

Cependant, on  ne trouve que très peu d’articles qui font référence aux ACI instituées (Yoga, Eutonie, taï-chi-chuan, relaxation…) :

  • Eutonie : 3

Revue

articles

auteurs

revue EPS 266 juillet Aout 1997

 

l’eutonie dans la préparation d’athlètes. Canoë kayak

 

René Bertrand

« Eutoniste », élève de G. Alexander.

Besançon.

Anne Boixel

Vice championne du monde. Canoë-kayak slalom en 1993 et 1995. Sélectionnée olympique 1996.

Pierre Salamé

Entraîneur national de canoë-kayak slalom.

revue EPS 289  Mai-Juin 2001

 

Eutonie : rôle et place en EPS

 

Bernard Paris

IPR EPS honoraire.

Revue EPS 323 Janvier février 2007

 

UNE APPROCHE DE

L'EUTONIE EN EPS

Danielle Escala

Professeur d'EPS,

Lycée polyvalent

Gaillac (81).

Agnès Pernet

Professeur d'EPS,

Paris (75).

 

  • Yoga : 3

 

Revue EP.S n°277 Mai-Juin 1999

LE YOGA DANS UN

SYSTÈME D'ÉDUCATION

INTÉGRALE

Micheline Flak

Présidente de l'association RYE*.

 

Ajit Sarkar

Centre de ressources sur

la condition physique.

Département de la recherche INSEP.

revue EPS n°344 novembre décembre 2010

Une situation une démarche

Yoga : s’échauffer autrement

Dominique Daumail professeur agrégé d’EPS lycée Pissarro, Pontoise (95)

Revue EPS n°356 2013

Yoga et accompagnement personnalisé au lycée

Dominique Daumail professeur agrégé d’EPS, diplômée du RYE-France, lycée Pissarro, Pontoise (95) dominique.daumail@wanadoo.fr

 

  • Tai chi chuan : 1

Revue EP.S n°264 Mars-Avril 1997

Le tai-chi-chuan

PROFESSEUR MEN HUI FENG directeur du département de « wushu » de l’université de Pékin

E. CAULIER professeur invité de Tai-chi-chuan de Louvain.

P. ANDRIAMAMPIANINA

 professeur d'EPS au lycée-collège A. Chatelet à Douai.

 

  • Relaxation /stretching : 7

 

revue EPS 269 janvier février 1998

Le stretching postural

Jean le Bivic masseur kinésithérapeute 91 brunoy

Revue EP.S n°309 Septembre-Octobre 2004

DE LA RELATION SINGULIÈRE AU GROUPE

Stéphane Geay

Professeur d'EPS,

Collège Roger Martin du Gard,

Épinay-sur-Seine (93).

EP.S № 324 - MARS-AVRIL 2007

Relaxation : PASSER D'UN

« ÉTAT DE CORPS » à un autre

Régis Galek

Professeur d'EPS,

Cité scolaire de Briey (54).

Revue EPS n° 335 janvier février 2009

Techniques de détente : connexion entre membres inférieurs et bassin

Nicole Guerber Walsh

Professeur de danse

UFR STAPS, Paris-Sud XI, Orsay

Geneviève Progent

Professeur d'EPS honoraire

Revue EPS n°309 septembre –octobre 2004

Préparation corporelle en contact avec le sol

Geneviève Progent revue EPS

Revue EPS n° 352 mai juin juillet 2012

Réveiller sa musculature profonde stretching postural

Emmanuelle-Claire Lefèbre

Enseignante licenciée école de stretching postural

Revue EPS n° 339 novembre décembre 2009

Des clés posturales pour mieux flotter

Isabelle Fantinutti professeur D’EPS collège le chamandier Gières (38) BE2 de natation sportive

 

  • Préparation mentale : 4

Nous avons retenu ces types d’articles parce qu’à leur lecture, les auteurs proposent dans leur procédures didactiques l’utilisation des ACI.

Revue EPS n°303

L’ENTRAINEMENT MENTAL  en escalade

Olivier guidi CTR PACA entraîneur Pôle France escalade FFME creps Aix en Provence

Revue EPS n°304

A propos de la préparation mentale

Christian Target

Revue EP.S n°310 Novembre-Décembre 2004

PREPARATION MENTALE : UNE STRATÉGIE CONTRE

LE « DECROCHAGE SCOLAIRE »

 

Alain Fouchet Professeur d'EPS, Collège Montaigne, Dompaire (88).

 

Revue EPS n° 350 janvier Février 2012

Préparation mentale poursuivre des objectifs du lycée à l’université

FabienStange professeur agrégé d’EPS, BE2 de tennis

 

On trouve donc 19 articles en 15 années de publication de la Revue EPS (90 numéros), soit 13 articles sur 1000 articles environ. On peut donc dire qu’environ 1% des articles de la Revue EPS sont consacrés aux ACI.

2- Les types d’articles

Nous avons repérer deux types d’articles didactiques utilisant explicitement les ACI dans la revue EPS de 1997 à nos jours. Il y a des procédures didactiques les utilisant comme une préparation à la pratique des ACE et d’autres comme un moyen de combattre les problèmes de l’école.

A-les ACI propédeutiques aux ACE

Nous avons trouvé des articles qui défendaient la pratique des ACI dans la perspective d’une pratique plus efficace des ACE. Si on étudie les articles de la revue EPS d’avant la période qui nous intéresse, nous constatons que cela a toujours été le cas. Les ACI sont envisagées avec la même intentionnalité pédagogique. En quoi ? Qu’apporte la pratique des ACI à la pratique des ACE ?

- mettre de la passivité dans l’activité en se libérant de ses tensions musculaires en prenant conscience de son corps vivant.

- savoir sentir son corps pour apprendre :          du non senti des consignes au sentir.

                                                                                              Sentir pour ressentir pour remédier.

« Apprendre la précision du geste juste, efficient et efficace. » Revue EPS n°344 novembre décembre 2010

« C’est sur ce dernier point que nous viserons le développement de compétences centrées sur le contrôle de soi et le relâchement pour accompagner la recherche d’efficacité dans d’autres APSA. » Revue EPS n°344 novembre décembre 2010

« L’objectif est les mettre dans un climat de disponibilité, de lucidité et de vigilance facilitant l’optimisation de la performance. »  Revue EP.S n°277 Mai-Juin 1999

«  Nous pouvons être dans l’attitude du yoga si nous ne transgressons pas les règles de l’olympisme et les pensées de Pierre de Coubertin. » Revue EP.S n°277 Mai-Juin 1999

« L’eutonie peut jouer un rôle intéressant chez les sportifs en leur permettant d’enrichir le clavier tonique sur lequel ils jouent. » revue EPS 289  Mai-Juin 2001

 

B- les ACI comme un remède aux problèmes de l’école, elles s’inscrivent dans une véritable thérapeutique scolaire

Ici, et c’est là qu’on peut noter une évolution des considérations didactiques, les ACI sont utilisées pour lutter contre les désordres scolaires. Il y a eu certes des propositions qui justifiaient la pratique des ACI dans une perspective de lutte contre l’échec scolaire mais elles restaient cantonnées au niveau des déclarations d’intention. Alors qu’ici elles s’inscrivent dans de véritables protocoles pour la plupart. Elles sont utilisées pour résoudre trois natures de problématiques :

- l’échec scolaire et le rapport aux savoirs : développer l’attention et la concentration : libérer et contrôler son attention. Devenir disponible et en accueil de la connaissance des consignes.

-« une certaine idée du yoga comme moyen de développer l’attention et la concentration que ce soit en classe ou comme on dit en EPS sur le terrain. Ils pensent dès le départ que le yoga va développer l’ambiance des cours et leur permettre d’exercer leur métier avec une efficacité accrue. » Revue EP.S n°277 Mai-Juin 1999

« Ainsi les travaux du RYE (recherche du Yoga à l’école) montrent que les élèves en difficulté scolaire respirent souvent mal, manquent de concentration, mémorisent difficilement et ont aussi régulièrement mal au dos. » Revue EPS n°344 novembre décembre 2010

 « A repérer les voies dans lesquelles les lycéens seraient à même de réussir et de prendre confiance en eux. »Revue EPS n°356 mars-avril-mai 2013

« Le développement des capacités à se concentrer, à être attentif….le développement des capacités à mémoriser …Se mettre en situation d’écoute des consignes…se mettre en état d’accueillir de nouvelles connaissances…Augmenter la puissance de travail.» Revue EPS n°356 mars-avril-mai 2013

Discussion

L’utilisation des ACI s’inscrit dans une perspective de rééducation cognitive. Il s’agit d’amener l’élève à contrôler son attention et sa concentration qui sont les conditions élémentaires pour que l’enseignant puisse faire passer son enseignement. On veut amener le sujet à pouvoir accueillir et être disponible au savoir. En déplaçant l’attention sur l’ensemble des espaces corporels, le sujet va pouvoir reprendre le contrôle de son activité cognitive. En outre, en m’intériorisant, je nais au sens de l’altérité du monde qui donne envie de le connaître.

 

- la violence et les incivilités : développer l’empathie par l’éducation au se sentir, au se connaître et au se comprendre.

« La dimension éthique semble intéressante à exploiter dans les collèges où l’on est souvent amené à travailler sur le respect des règles, de l’autre… » Dans la Revue EP.S n°264 Mars-Avril 1997 : le tai-chi-chuan

-« la maîtrise des sensations corporelles autant que l’observation des représentations négatives s’impose comme un pas décisif dans le sens d’une éducation authentique. Celle-ci amène à la tolérance, au respect de soi et de l’autre. A ce niveau pourquoi ne pas parler que l’accès à la citoyenneté passe par une meilleure connaissance de soi ? » Revue EP.S n°277 Mai-Juin 1999

« Le niveau de violence est diminué lorsque se réduit le décalage entre l’image corporelle idéale et celle que vit le jeune en difficulté psychologique. »    Revue EPS 289  Mai-Juin 2001

« Permettre à l’élève de rendre son esprit vide pour accueillir l’autre…Vivre ensemble.» Revue EPS n°356 mars-avril-mai 2013

Discussion :

Les ACI sont utilisées contre les phénomènes de violence et d’incivilité dans les enceintes scolaires. Elles s’inscrivent dans une éducation à l’empathie. En me découvrant dans mes sentis corporels, je peux considérer qu’autrui aussi est comme moi, qu’il a un corps qu’il sent. Ainsi, je nais au souci de le respecter. La violence provient souvent d’une inconscience de l’autre, l’autre étant un faire valoir. En le réduisant au silence, j’ai le sentiment de naître à moi-même. Je résous mon sentiment d’humiliation que la présence et l’existence d’autrui créent. Mais en sentant mon corps, en m’intériorisant, je crée une distance avec autrui et le monde extérieur. En naissant à moi-même grâce à mon corps, je nais à autrui.

 

- le stress : le contact avec son propre corps permet de s’inscrire dans l’ici et le maintenant et d’échapper à la norme, d’emprunter un chemin personnel. Il s’agit de retrouver bien être et confiance en soi.

 « Au départ, c'était surtout une technique pour mieux gérer le stress d'un compétiteur. » Dans la Revue EP.S n°264 Mars-Avril 1997 : le tai-chi-chuan

 « Il s'agit de lutter efficacement contre les problèmes liés au stress : tensions physiques, psychiques, insomnies… » Revue EPS n°277 Mai-juin 1999

« Pour apporter des connaissances transversales au bien être » Revue EPS n°344 novembre décembre 2010

Discussion :

L’école, espace normatif où on demande à un élève de se conformer à des attentes, à des savoirs, à des savoirs êtres. On attend de lui des performances des attitudes. Cette perspective l’amène à s’oublier, à être toujours au-delà de lui-même. Cela génère une situation de peur de ne pas pouvoir faire face.

En outre, l’évaluation permanente et les risques liés à l’échec participent au climat anxiogène qui habite la conscience de l’élève. Il est toujours pris par cet avenir qui l’attend telle une faucheuse.

Enfin cette avenir est toujours hasardeux, il est placé en situation de contingence : que va-t-il m’arriver ? Je ne décide pas de mon avenir.

Or avec les ACI, on s’immerge dans l’ici et le maintenant, dans son corps propre sans référence à une norme. Par ce lieu qu’est le corps, j’échappe à la normativité et je retrouve les racines de mon pouvoir. J’accède à une forme de sécurité par l’intériorité.

                                                            *    *   *

Ces articles s’inscrivent d’une part dans des procédures éducatives spécifiques en marge de l’emploi du temps normal : accompagnement personnalisé au lycée, accompagnement éducatif au collège, création d’une voie éducative parallèle…et d’autre part en amont et en aval des apprentissages des ACE pendant les cours normaux d’EPS. Les ACI ne sont pas une partie intégrante des cours normaux d’EPS. Cet aspect renforce notre idée de l’hermétisme de l’EPS à l’égard des ACI. Chose que Geneviève Cogérino reconnaissait déjà en 1993 dans un article de la revue EPS n°239 : « les relaxations en EPS ».  Elle dit : « la relaxation, l’eutonie sont peu présentes en éducation physique car absentes des programmes explicites de l’éducation physique. Peu considérées par beaucoup d’enseignants qui n’y perçoivent qu’une occasion de s’écouter sans se confronter à la dure loi de l’efficacité, inquiétants quelques autres par les réactions de rejet ou de dérision par les élèves, elles n’entrent pas dans les formations initiales des enseignants. »

 

2 Les textes officiels en EPS

On pourrait nous opposer l’argument suivant que ce phénomène d’hermétisme est davantage le fait de la ligne éditoriale de la revue. Si tel était le cas on peut se demander pourquoi il y en a néanmoins. On peut imaginer que malgré tout les expériences sont trop sporadiques.

La relative indifférence des programmes à l’égard des ACI vient renforcer notre propos.

Les programmes du collège issus du B.O n°6 du 28 aout 2008 ne font pas référence aux ACI : elles ne font pas partie du socle commun.

Référentiel national issu des APSA réparties selon 4 compétences culturelles

 

Compétence culturelle

activités

CP1 : Réaliser une performance motrice maximale mesurable à une échéance donnée

Demi-fond

Haies Hauteur Javelot Multi bond Relais vitesse Natation longue Natation de vitesse

 

CP2 : Se déplacer en s’adaptant à des environnements variés et incertains

Canoë Kayak Course d’orientation

Escalade

CP3 : Réaliser une prestation corporelle à visée artistique ou acrobatique

Aérobic Acrosport Gymnastique sportive Gymnastique rythmique Arts du cirque Danse

CP4 : Conduire et maîtriser un affrontement individuel ou collectif

Basket Football Handball Rugby Volley-ball Badminton Tennis de table Boxe française Lutte

 

Nous pouvons constater qu’il ne s’agit que d’ACE.

 

Les programmes du lycée de 2010 ne font aussi pas référence aux ACI dans les compétences propres à l’EPS.

Liste nationale d’activités physiques, sportives et artistiques

Bulletin officiel spécial n° 4 du 29 avril 2010

Compétence culturelle

activités

CP1 : Réaliser une performance motrice maximale mesurable à une échéance donnée

Course de ½ fond, course de haies, course de relais-vitesse, lancer du disque, lancer de javelot, saut en hauteur, pentabond, natation de vitesse, natation de distance

 

CP2 : Se déplacer en s’adaptant à des environnements variés et incertains

Escalade, course d’orientation,

natation sauvetage.

CP3 : Réaliser une prestation corporelle à visée artistique ou acrobatique

Acrosport, aérobic, arts du cirque, danse, gymnastique (sol, parallèles, asymétriques, fixe, poutre), gymnastique rythmique.

 

CP4 : Conduire et maîtriser un affrontement individuel ou collectif

Basket-ball, football, handball, rugby, volley-ball, badminton, tennis de table, boxe française, judo.

 

CP5 : réaliser et orienter son activité physique en vue du développement et de l’entretien de soi

Course en durée, musculation,

natation en durée, step

 

Néanmoins, il y est fait référence dans les documents d’accompagnement du lycée. On parle des disciplines orientales de relaxation, de stretching. Il y a d’ailleurs un curriculum de connaissances assez dense. Mais il y est spécifié que ces activités ne peuvent pas être le cœur d’une séance d’EPS.  .  Ces activités sont  propédeutiques aux ACE ou permettent une meilleure récupération : « La séquence dure environ un quart d’heure. »…« La séquence dure de dix à quinze minutes. »…« La mémorisation par l’élève des procédures employées par l’enseignant pour guider le relâchement est indispensable pour permettre aux élèves l’accès à la compétence du niveau 1 du cycle terminal ; Elle suppose que l’enseignant inclut ces activités régulièrement et systématiquement dans ses séances. Cette régularité peut consister à garder à chaque séance un moment spécifique (atelier particulier ou fin de séance) ou à consacrer un ensemble de séances courtes à ces activités. (Un cycle associant course de longue durée puis relaxation ou musculation et relaxation par exemple) ».

 Il n’y a aucun caractère obligatoire. Cela reste à la discrétion du professeur. Sans formation avec 30 adolescents et 2 heures de cours par semaine…

 Il est inenvisageable d’évaluer les bacheliers sur un cycle de Yoga. Les textes ne le prévoient pas. Cela irait même à l’encontre du but recherché à savoir l’intériorisation. Une évaluation amènerait les sujets à se conformer à des normes et donc à s’extérioriser. Les ACI perdraient leur âme.

Un inspecteur venu m’inspecter en 2010 m’a indiqué que dans ma programmation, le cycle : «  gestion mentale de la motricité » ne pouvait figurer dans le programme des APSA de cette classe de 5ème.

Conclusion :

Nous pouvons ainsi considérer que les ACI restent aux portes de l’EPS et de l’école. Il existe une forme d’hermétisme à l’égard de ces activités qui cherchent à amener les élèves à se mettre au contact de leur corps, de le sentir, de prendre conscience de cette vie qui les habite, de ce corps passif, de ce corps qui les porte, lieu de leur origine.

B Causalités de l’hermétisme scolaire

Ne peut-on pas trouver dans les contenus de ces articles les raisons de cet hermétisme ?  N’y a-t-il pas une opposition entre la pédagogie des ACI et celle des ACE, pratiques corporelles exclusives de l’EPS ?

 

1-la liberté ou l’obéissance

Dans les articles, il est fait référence à la liberté des élèves de participer ou non à ces activités, d’interrompre à loisir d’une activité. Chose impensable dans une école gratuite, laïque et obligatoire, lieu de devoir, où l’élève doit se soumettre à un emploi du temps, à un programme décidé sans lui, il est contraint au silence et à l’immobilité en classe. Il doit respecter un règlement intérieur, doit s’acquitter d’un travail à faire, doit apprendre des leçons.

-Les ACI suppose peut être la liberté car la précision des gestes et des postures à reproduire peuvent donner le sentiment de se soumettre si l’élève n’adhère pas au départ au projet de l’activité ce qui peut être le cas chez des jeunes qui ont souvent de fortes motivations pour les ACE.

-En outre, l’orientation de l‘attention sur le corps ne peut pas être contraint puisque cela ne peut pas être évalué. Aussi il faut user de conviction et donner à l’élève le sentiment de son autodétermination et ne pas repousser l’élève par  une attitude pédagogique injonctive et contraignante.

Enfin une la relation pédagogique non directive, chaleureuse et détendue avec une écoute réciproque entre deux personnes est privilégiée alors que traditionnellement les relations sont conçues selon une structure de domination et de soumission. L’école est le plus souvent le lieu de l’obéissance et de la discipline ; la liberté de l’élève fait peur.

-« J’ai une petite expérience en collège et en lycée et il me semble bien difficile d’envisager un cycle de tai-chi chuan avec un public non volontaire. »  Dans la Revue EP.S n°264 Mars-Avril 1997 : le tai-chi-chuan

« Le yoga a pour objet de développer l’esprit critique et la faculté de penser par soi-même…Le yoga nous enseigne tout d’abord le discernement et la liberté. » revue EPS n°277 mai-juin 1999

 « En revanche, il y a accord sur quelques principes pédagogiques : non directivité, neutralité bienveillante, qualité d’écoute, respect inconditionnel des pratiquants. »  Revue EPS 289  Mai-Juin 2001

« Les trois cycles suivants sont organisés sous formes d’ateliers auxquels les élèves s’inscrivent, le volontariat faisant partie de la stratégie de réussite. » Revue EPS n°356 mars-avril-mai 2013

« Si j’ai pu constater une attente chez certains, un intérêt pour d’autres, je dois dire que le comportement opposé de deux ou trois élèves, voire même un seul, suffit parfois à rendre impossible ce travail. » revue EPS 289  Mai-Juin 2001

« Un certain nombre de conditions favorables à cet enseignement doivent être réunies, notamment celle relatives aux motivations des élèves qui sont le plus enclins à comprendre et à désirer des activités sportives ludiques et techniquement modélisées. Sauf cas particulier la culture des jeunes d’aujourd’hui est sportive. Sans réel talent pédagogique, fait de connaissance personnelle de l’eutonie et de conviction certaine quand à son intérêt en EPS, il est quasiment impossible de donner, une réelle place à cet enseignement. »   Revue EPS 289  Mai-Juin 2001

 2-Auto-évaluation par le témoignage ou évaluation objectivante

Dans les articles, il est demandé aux élèves de témoigner de leur vécu des séances. Il n’y a personne pour les évaluer. Cela pourrait être fait à partir des postures mais là les disciplines impressionnistes deviendraient expressionnistes. L’évaluation deviendrait objectivante alors que la fonction de ces disciplines est de permettre à une personne d’accéder à sa subjectivité. Il n’est pas possible d’évaluer une impression alors que l’évaluation est le moyen par lequel l’institution tient les élèves.  L’évaluation qui objective l’élève est partout à l’école. Elle est un moyen qui rassure, elle est un moyen de pouvoir. Cela est d’autant plus fort dans le champ de l’EPS où l’évaluation est l’outil central de la didactique qui a lui a permis de gagner ses galons de discipline d’enseignement et de gagner en respectabilité.

« La fin du cours ou du cycle est un instant de partage des idées. Chacun doit parler de lui, ce qui pour des jeunes adolescents, n’est pas toujours facile. » Revue EPS n°356 mars-avril-mai 2013

 

3-Socialisation : développement de soi ou la compétition

« Quand on n’est pas disponible pour soi, on ne peut pas l’être à l’égard d’autrui. » Antoine de la Garanderie dans « apprendre sans peur » page 59, chronique sociale 1999

Certains auteurs rejettent la compétition et recherchent à ce que la personne qu’ils accompagnent, ait une démarche de cheminement. La socialisation est soi considéré comme l’aboutissement du développement de soi dans un cadre d’entraide. Alors qu’à l’école, la compétition et l’émulation structurent le sens des disciplines.

 

« Cela correspond à un désir de sortir des pratiques de compétition ». Dans la Revue EP.S n°264 Mars-Avril 1997 : le tai-chi-chuan

« A deux, c'est vraiment l'esprit de collaboration, il n'y a pas du tout d'affrontement. Dans la langue chinois, on dit combattre « avec » quelqu’un et non pas « contre » quelqu’un. » EP.S n°264 Mars-Avril 1997 : le tai-chi-chuan

« Sans lutte(…) contre les autres » Revue EPS n°344 novembre décembre 2010

«  La philosophie pour ne pas dire l’idéologie qui sous tend le courant eutoniste porteur de la pensée de Gerda Alexander rejette la compétition sportive car elle est source de malmenage corporel et facteur de discrimination entre les pratiquants. » revue EPS 289  Mai-Juin 2001

« Nous sommes aux antipodes de la conception du conseil pédagogique et scientifique de la FSGT d’obédience marxiste qui au début des années 1970, proposait une classification des APS dans laquelle l’eutonie était considérée comme le degré zéro de la communication. » revue EPS 289  Mai-Juin 2001

 

4-un corps hérité théâtre de mon irresponsabilité ou un corps outil de ma responsabilité

Les ACI amènent la personne à sentir la présence de son corps, de ses structures qui sont là. Elles s’adressent au corps vivant de la personne, un corps dont il a hérité, un corps dont il n’est pas l’auteur, un corps lieu de son irresponsabilité. Alors que les ACE en EPS cherchent à favoriser la maîtrise d’un corps outil de ma responsabilité, vecteur de ma volonté, et  à découvrir son pouvoir être du corps. En reprenant une distinction d’Antoine de la Garanderie critique de la raison pédagogique 1997), Il y a d’un côté une discipline, les ACI qui amène le sujet à promouvoir le statut de témoin dans le sentir et une autre, les ACE qui amène le sujet à promouvoir le statut d’acteur dans le faire. Un corps senti ou un corps agi…est-ce inconciliable ?

 « Leur motivationest davantage de pratiquer une discipline de bien être. »    Dans la Revue EP.S n°264 Mars-Avril 1997 : le tai-chi-chuan

 

« Les mouvements doivent être clairs pour ne pas mettre en péril la santé du pratiquant. L’expert en Tai-chi-chuan doit donc bien connaître le corps. Il doit comprendre l’anatomie, la biologie la physiologie. »  EP.S n°264 Mars-Avril 1997 : le tai-chi-chuan

 « En revanche, il y a un accord pour considérer que la douceur est une des caractéristiques essentielles de l’eutonie puisqu’elle exclue tout ce qui peut être violence faite au pratiquant. »  Revue EPS 289  Mai-Juin 2001

Recherche d’agir sur son corps vivant : effet des postures sur les fonctions digestives respiratoires, circulatoires et posturales. Revue EPS n°344 novembre décembre 2010

 

5-Formation des professeurs :

Dans les articles, il est fait souvent référence à la nécessité de la formation des enseignants. Une formatrice du RYE (recherche en YOGA dans l’éducation) à qui je demandais comment elle expliquait la faiblesse de la présence du yoga à l’école, elle avançait cette idée de l’absence de formation des enseignants que l’on retrouve dans les plaquettes de formation des UFR STAPS.

Sans réel talent pédagogique, fait de connaissance personnelle de l’eutonie et de conviction certaine quand à son intérêt en EPS, il est quasiment impossible de donner, une réelle place à cet enseignement. »   Revue EPS 289  Mai-Juin 2001

-« la condition sine qua non pour enseigner l'eutonie. Y compris en milieu scolaire, est d’avoir une bonne connaissance pratique personnelle. »   Revue EPS 289 Mai-Juin 2001

 

C l’avenir pourquoi ne pas introduire les ACI, pourquoi ne pas leur donner une place pleine et entière ? Les ACI n’ont-elles pas une valeur éducative indépendante des ACE ?

1-Plan ontologique et de l’éducation générale

En naissant à son corps propre à son corps vivant, le sujet peut accéder à l’éthique et échapper à une morale aliénante. Je nais au sens du bon et du mauvais pour moi. Et donc je nais :

-à ma liberté de dire oui ou non aux injonctions extérieures. La liberté est pour nous l’alpha et l’oméga du processus éducatif.

-au souci de moi. Mon corps est le lieu de mon bien être qui est dépendant de soin que je saurai lui apporter. Ainsi j’accède au sens l’hygiène corporelle

-à mes capacités réflexives, à ma capacité à me réfléchir en prenant une distance par rapport à mon corps, à cet espace dont je ne suis pas l’auteur, à cet autre qu’est mon corps. Je peux naître à l’herméneutique et au sens de la culture car cette réflexion me fait émerger au vécu d’altérité du monde qui m’entoure.

-à l’altérité par une éducation à l’empathie que peut favoriser la rencontre avec ses propres sentis.

2-Plan de l’éducation physique et sportive

L’accession au senti du corps propre peut favoriser les conduites motrices et leur apprentissage

-sentir pour mobiliser :

*équilibrer la passivité et l’activité dans la conduite d’un mouvement

*le pouvoir volontaire sur le corps dépend de son senti

-ressentir pour remédier à l’échec et reproduire la réussite

-pressentir pour reproduire

-consentir pour développer. Il s’agit d’accepter les lois naturelles du corps dans la conduite de la volonté.

 

Conclusion

Dans apprendre sans peur Antoine de la Garanderie nous dit dans  « apprendre sans peur »  aux éditions chronique sociale (1999) à la page 60 : « Se dépasser et s’assumer ne doivent pas être confondus. Certains excellent à aller au-delà d’eux-mêmes mais avant de s’être pris en charge. Ils restent à la traîne de leur progrès. D’autres se prennent bien charge mais n’avance pas d’un poil. Les premiers ne parviennent pas à se rejoindre. Les seconds à se quitter. »

Sans vouloir remettre tout en question, nous voudrions relativiser notre propos. Peut être que tous les élèves n’ont pas besoin des ACI mais plutôt d’ACE. Certains ont besoin de sortir d’eux-mêmes alors que d’autres ont besoin de s’intérioriser. Comment faire sur le plan didactique ? Dans cette perspective peut-on faire une systématique de l’EPS ?  Nous pensons que tout est affaire d’intention pédagogique. Pour un même outil on peut poursuivre des objectifs différents. Tout dépend de la pédagogie. Ainsi, on peut utiliser la pédagogie des ACI au sein des ACE et vis versa. Une pratiquante de notre connaissance nous disait qu’elle vivait le yoga différemment suivant le professeur : soit de façon normative et externe à elle-même, soit plus respectueuse de son corps et intériorisée. De même, on peut se demander si Roger Fédérer ne fait pas du Yoga en faisant du tennis et Zidane en jouant au football ?

 

 

19 avril 2014

Sens de la norme dans le sport-Sens de la performance

En matière de performance, nous distinguons deux formes de rapport : un sens intime et un rapport social.

Le rapport intime signifie que le sujet va chercher à dépasser les performances qu’il a déjà atteintes ou bien à atteindre un résultat qu’il ressent comme possible au vu des ressources qu’il pense posséder. Il y a même des personnes qui cherchent à savoir ce dont elles sont capables. Elles ont pour projet de connaître leur corps. Le corps est un mystère et l’activité de production de performance s’inscrit dans une recherche de connaissance pour s’éprouver. Il y a là un projet intimiste, une intention de progresser, de faire mieux, c'est-à-dire qu’il s’agit de se donner la preuve que le corps est capable de s’améliorer. Une performance n’a pas de sens en soi, mais est toujours un moment, un instantané dans un cheminement vers la perfection. Le projet de progrès permet de d’accepter les performances du moment comme une étape pour établir de nouveaux projets à partir d’une réflexion des moyens mis en œuvre. Eprouver ses progrès permet de se donner un champ d’avenir et de l’investir. Mon corps a progressé ; mon corps peut encore progresser. Je le vis en moi-même, pour moi-même. C’est pour cela qu’il y a des athlètes qui se donnent un ensemble d’échéances afin de pouvoir dépasser chaque performance par un projet d’avenir que permet l’échéance suivante. Une joie réelle est ressentie dans ces projets intimistes.

Le rapport social à la performance sportive s’inscrit dans les rapports que le sportif entretient avec sa communauté. En effet, à la performance est attachée une valeur sociale. Par exemple, on dit qu’on est un sauteur en hauteur lorsqu’on franchit 2m. On est un coureur lorsqu’on fait moins de 40’ au 10km. Pour certains 35’ sera considéré comme médiocre. La performance est un moyen d’attirer les regards, d’obtenir de la considération et des honneurs, d’être reconnu et donc de s’intégrer. Plus le sujet progresse, plus il intègre des groupes restreints. Atteindre des niveaux supérieurs de performance permet d’avoir une écoute de ceux qui n’en font pas partie et des pairs et d’avoir plus facilement la parole. Il est possible de déconsidérer les plus faibles. Si c’est le cas, c’est avec un grand sentiment de supériorité que le sujet rentre en relation. Dans d’autres cas, il lui manifeste une parfaite indifférence. Indifférence ostensible qui donne le sentiment de sa valeur. « On a toujours besoin d’un plus petit que soi. »

Mais, ces normes peuvent jouer contre l’individu qui n’entre pas dans les normes d’excellence. Par exemple celui qui vaut 50’ au 10km, va se sentir nul par rapport à la norme de 40’ et aura tendance  soit à fuir par l’abandon ou bien le non engagement ou à se sentir mal s’il fait l’épreuve de la performance. Cela est renforcé par les jugements négatifs et les moqueries.

A partir de là, on voit des stratégies de choix de groupes sociaux adaptés à son niveau de performance ou bien d’activités. Il y a des personnes qui intègrent des groupes de niveaux supérieurs au sien pour se donner l’illusion qu’ils ont ce niveau. Côtoyer des sportifs de haut niveau valorise l’égo. Il y a une véritable courre autour de certains sportifs.

Mais, nous pensons que le passage intimiste de la performance est un moyen de dépasser la dévalorisation de ses capacités par l’ambiance sociale. Par la référence à soi, à des normes auto-référencées, j’évite la dévalorisation personnelle.

On peut se demander si cette distinction n’est pas le fruit d’un rapport différencié avec son corps. Dans la norme sociale, je suis enfermé dans le je suis mon corps c'est-à-dire que je m’identifie aux productions de mon corps. 36’37 au 10km, c’est moi. Je suis mon corps. En revanche, dans le rapport intimiste avec la performance, je considère que j’ai un corps que je peux connaître, que je peux améliorer, avec lequel je peux me lier, comme un autre que moi. Je ne suis pas mon moi, disait Antoine de la Garanderie. J’ai un moi. Mon corps m’a été prêté, j’en suis le dépositaire. J’en ai hérité. Il est doté d’un certain nombre de ressources et de capacités. A moi de les exploiter et de m’en débrouiller.

Cela permet de relativiser la notion de performance. Est-il possible de placer sur la même échelle des personnes ayant des corps différents ? La performance d’une personne faisant 100 kg qui a dû faire des efforts considérables pour boucler son marathon et se mettre à une pratique régulière de la course à pied n’est-elle pas plus admirable que la personne qui court sans effort un marathon en 2h10 ?

Les efforts d’une personne portant un handicap moteur qui apprend à jouer au tennis ne sont –ils pas aussi intéressants que celui qui joue à 4/6 ? D’ailleurs A de la Garanderie pensait qu’on était tous des handicapés de quelque chose et qu’il fallait le reconnaître…

Cependant, la norme sportive ne peut-elle pas avoir un sens positif ? La norme ne signifie-t-elle pas ce dont a été capable un pourcentage de la population qui ont un corps certes personnel et différent mais qui comporte certaines aptitudes qui sont communes à mon corps ? Donc si eux ont réussi à faire cela, pourquoi n’en serais-je pas capable ? La norme est une promesse.

De même côtoyer le champion peut être une occasion de m’instruire sur les voies qui me permettent de progresser, de le rejoindre…

Tout est donc question du sens que je donne à la norme, du sens que je donne à la performance. 

18 avril 2014

Zidane et Matérazzi ( partie 2):1 UN CONTEXTE DE FRUSTRATIONS

La frustration est l’ambiance de sens dans lequel s’est inscrit le geste de Zidane. Il a accumulé au fur et à mesure du match un certain nombre de frustrations qui se sont surajoutés au point d’amener cet homme à perdre le contrôle de lui-même.

Quelles sont ces frustrations ?

Nous allons les présenter en remontant au fur et à mesure dans le temps.

 

A UNE FRUSTRATION DE JUSTICE

 

Zidane a réagi violemment car Matérazzi agissait en toute impunité. Aucun tiers n’était témoin de la relation. Une insulte est fugitive. Elle n’est pas matérielle. Il n’y a donc pas de preuve. La parole ne reste pas au niveau perceptif. Mais elle reste pour celui qui l’a entendue. C’est pourquoi, si l’arbitre n’est pas présent au moment de l’insulte, il ne peut sanctionner. Il est vrai qu’il pourrait poser la question. Mais la mauvaise foi rôde. Jamais Matérazzi n’aurait avoué ses insultes. Zidane savait que la provocation ne pouvait être punie. Il se sentait frustré par la justice impuissante.

La faute de l’italien ne pouvait pas être reconnue par la justice. Il était impossible de lui rendre justice. Aussi a-t-il voulu la rendre par lui-même.

Mais cela est inacceptable. On ne peut-être juge et partie.

 Souvent, l’injustice est le noyau de la violence. Le pédagogue doit donc apporter une attention particulière aux plaintes des élèves dans le but de créer une ambiance de sens de justice et de sécurité.

 

B UNE FRUSTRATION D’EFFORT

 

Nous pensons que la réaction de Zidane tire son origine du contexte d’effort dans lequel il était immergé.

Il était tendu vers un objectif suprême, la coupe du Monde de Football lors de son dernier match officiel. Il avait décidé de donner le meilleur de lui-même, d’aller chercher en lui l’infime parcelle d’énergie que son corps pouvait receler encore, d’être en hyper vigilance sur les possibles et sur les actions de ses adversaires. Tout son être, son physique, ses habiletés, son intelligence et son expérience, étaient orientés vers ce but. Pendant le match, il doit lutter contre la souffrance physique liée à l'effort maximum. Il doit tenir. Il y avait une certaine force qui s'exprimait à l'égard de lui-même, à l'égard de tout obstacle à cet effort.

Et là, Materazzi le ceinture sur une action puis lui tire le maillot. Et après c’est l’escalade. La tension s’extériorise par un coup de tête. La force, qui le tient dans l’effort physique, se déchaîne.

Cette réaction, je l’ai reconnue en moi et chez quelques camarades coureurs à pied.

Il arrive que sur une piste d’athlétisme, une personne, sans faire attention, passe dans le couloir dans lequel je cours. Si cela arrive à un moment de plein effort, une réaction agressive, s’extériorise, alors qu’intellectuellement, je sais très bien que l’autre ne m’a pas vu et qu’il ne l’a pas fait exprès. Je me mets à faire de la morale avec l’autre et à rouspéter.

Faire la morale à autrui, c’est souvent l’expression d’une frustration que l’autre produit par égoïsme ; ce qui est aussi de l’égoïsme puisqu’on veut que l’autre ait un comportement conforme à nos buts et à notre trajectoire. Les conflits sont souvent des trajectoires individuelles qui s’entrechoquent, chacune portée vers une finalité. Il n’y a pas de coupable. On fait de la morale à autrui parce qu’on s’est trouvé empêché. Il aurait dû savoir que je passais là.

Mais la lucidité sur le décalage entre l’interprétation et la réalité permet le contrôle. Dans ce cas là, l’autre est innocent.

J’ai vu une fois sur la même piste, un coureur, en venir aux mains avec un rugbyman qui jouait au milieu et qui allait chercher le ballon sur la piste. Bousculade entre les deux personnes en situation d’effort, des noms d’oiseaux jaillissent, ils veulent en venir aux mains mais en sont empêchés par l’entourage.

Moi comme ce coureur ne sommes pas d’un tempérament agressif et nous cherchons à établir des relations de sympathie avec autrui. Notre réaction est un malgré nous par nous comme l’a pu être celle de Zidane et qui a été souvent la sienne. Rappelez vous de sa réaction lors d’un match contre l’Arabie Saoudite où excédé par les fautes d’un saoudien, il lui marche volontairement dessus. Il est sanctionné d’un carton rouge et subira les foudres d’Aimé Jacquet, qui aurait peut-être dû faire une analyse plus fine de la situation pour l’amener à se contrôler en pareilles circonstances. Il se trouvait empêcher illégalement dans son effort.

Le sport lui-même peut être à l’origine de la naissance d’un comportement violent et agressif. Car chaque personne a un but contradictoire pour l’autre Ils poursuivent la même finalité. Chacun est empêché par l’autre dans l’atteinte de sa finalité. Si l’autre réussit, cela signifie que j’aurai échoué. Je réussis parce que tu échoues. Or la frustration peut provoquer de l’agressivité. Ce n’est pas l’autre en tant que tel qui est visé mais l’obstacle qu’il représente, à l’atteinte de l’objet convoité.

Il est intéressant de noter que le coureur, précédemment cité, est parallèlement alpiniste. Lorsqu’il se retrouve dans une situation de difficulté, il insulte la montagne. Son frère a la même réaction. On peut imaginer un coup porté contre la paroi rocheuse pour faire entendre raison à cette présence qui s’oppose au mouvement de l’alpiniste.

Là Materazzi s’est opposé au mouvement de Zidane en le ceinturant et en le retenant par le maillot.

Une distinction de frustration est à préciser. Là nous sommes dans le cas d’une frustration de mouvement. L’autre ou l’obstacle s’oppose à mon mouvement. J’ai une frustration de plaisir d’acte. Mais il y a aussi une frustration de plaisir d’état. J’ai une réaction agressive parce que je n’ai pas eu ma dose de drogue (cigarette, alcool, …) ou bien parce qu’un bonbon m’a été refusé. Le désir de meurtre du père est une agressivité liée à une frustration de plaisir d’état face à l’orientation qu’il donne de s’adonner au plaisir d’acte qui est d’une nature opposée car le plaisir d’acte génère de l’autonomie et de l’être alors que le plaisir d’état crée de la dépendance et du néant. Dans le premier, le sujet est l’auteur de lui-même et entretient une relation centrifuge avec son corps alors que dans le second le rapport au corps est centripète, il est passif. En outre, dans le plaisir d’acte, le sujet n’essaiera pas de détruire l’autre pour arriver à ses fins. Dans le plaisir d’état, l’autre fait souvent les frais de la dépendance et est mis malgré lui dans celle-ci. Dans le plaisir d’acte, le sujet agit pour l’homme pour apporter un témoignage de plus être à l’humanité. Là dans le cas de Zidane, le coup de tête n’avait pas pour ambition de détruire mais plutôt de rappeler à l’autre son devoir de respect d’humanité. Mais ce recours à la violence physique n’est pas un moyen de pacifier les relations humaines, au contraire. Toutefois, c’est le sens de cet acte.

C UNE FRUSTRATION DE REUSSITE

L’impulsivité violente de Zidane fait suite à une action qui aurait pu être décisive pour l’issue de la partie. Il s’en est fallu de quelques centimètres pour qu’il marque de la tête. Il pouvait encore être habité par cette situation. On peut imaginer qu’il se ressassait cette scène. « Si je l’avais piquée, si je l’avais un peu plus croisée, si j’avais été un peu plus lucide à ce moment là, alors on aurait gagné… » Il vit le passé avec un sentiment d’impuissance. Il vit cette situation comme un échec indépassable. Or cela enferme et ne rend pas ouvert à l’autre. Alors dans ces cas là, on vit mal les malveillances d’autrui. On devient impulsif et agressif.

Il est intéressant de noter que les élèves violents dans nos écoles sont souvent en échec…

Zidane aurait-il frappé l’italien si la France était en train de mener au score ? Cela est peu probable. La réussite permet de relativiser les provocations. On voit l’autre pleinement sans se voir soi. La réussite permet de s’oublier et s’ouvrir au monde et aux êtres. Là, Zidane aurait pu se dire en entendant les insultes : « il en est là, à ce niveau » Il aurait laissé courir.

En outre, lorsqu’on réussit, on a quelque chose à perdre. On va d’autant plus se mettre à l’abri des risques de sanctions que prévoit le règlement pour les actes délictueux. Les élèves violents n’ont souvent rien à perdre. Ils ne réussissent pas à l’école. Les menaces de zéro n’en sont pas puisqu’ils ont déjà zéro. Les menaces d’exclusion de l’école ne sont pas une menace puisqu’ils sont déjà exclus. A l’école, la sanction pour les élèves « délinquants » ne fait que renforcer leur aversion pour l’école et la situation qu’ils vivent déjà. Il est surprenant de noter qu’on menace l’élève de rester plus longtemps à l’école avec le système de retenues alors qu’on est sensé leur donner envie de s’y épanouir.

 

Les élèves qui réussissent ont rarement des problématiques de violence et d’indiscipline. Ils risquent gros.

Zidane n’aurait pas disjoncté si la France avait mené au score. Il y aurait eu le risque de tout gâcher. On peut alors se demander si la réussite amène le sujet à la réflexion et donc à la maîtrise de soi. La dialectique entre soi et soi peut s’établir. L’échec rendrait impulsif et irréfléchi. Une partie de soi serait condamnée, combattue et arrêtée. Le sujet serait enfermé dans le passé. La fonction de la temporalité est bloquée et disloquée. Le passé est le présent et n’est plus rattaché à l’avenir. Le sujet vit le drame de l’impuissance. Alors toute personne qui vient provoquer une autre qui vit mal un échec, prend le risque d’une réaction vive à son encontre. Ici, ce fut un coup de tête.  

 

D UNE COMPETITION FRUSTRANTE

La coupe du monde de football est une compétition éminemment frustrante. Elle a lieu tous les 4 ans. Une erreur peut mettre à mal des mois et des années d’effort. Il faut attendre 4 ans avec peut-être aucune chance d’y participer parce qu’on est blessé à ce moment là, parce qu’on n’a pas été sélectionné ou bien parce que l’équipe ne s’est pas qualifiée. Il n’y a pas beaucoup d’occasions dans une carrière, d’y prendre part et de bien y figurer. Il peut y avoir une crainte d’être impuissant par rapport au temps et de ne plus pouvoir revenir en arrière. Si la coupe du monde avait lieu tous les mois, la frustration n’aurait pas cette intensité.

Pour Zidane, il s’agit de son dernier match et de sa dernière coupe du monde. Plus jamais, il n’aura d’occasion de la remporter. Il y a une épée suspendue au dessus de sa tête. Cette menace lui donne des ailes et le pousse à chercher en lui des ressources cachées en lui-même.

Mais la pression qui détermine cette menace de la frustration peut aussi générer des actes violents. Combien de bagarres, d’échauffourées lors de matchs au sommet en football comme au Rugby. Les hommes supportant mal le stress de la possibilité de la frustration. Les frustrations sont vécues de façon émotionnelle et paranoïaque, provoquant des gestes incontrôlés et violents.

 

E UNE HUMANITE FRUSTREE

Zidane, par ce geste, a voulu retrouver par ce geste violent sa peau d’humain, c'est-à-dire un être capable de fautes, d’actes scandaleux, d’erreurs et de limites. Un homme qui a des progrès à faire.

Zidane est un homme adulé, une icône, une légende, un dieu vivant et admiré dans le monde entier. Personnage préféré des français depuis longtemps qui a détrôné l’abbé Pierre dans les cœurs de ses contemporains. Dans les campagnes reculées du Vietnam, la France évoque non pas un pays mais un footballeur.

Comment peut-il le vivre ? Quelle lucidité de lui-même peut-il conserver ? Comment envisager l’avenir et le chemin de son âme ? Que doit-il bonifier et améliorer ? Comment conserver de la lucidité sur soi lorsque tout le monde jette des regards admiratifs sur vous ? Le danger de l’arrêt et la suffisance vous guettent.

Pourquoi tant d’idoles des jeunes sont à la dérive en sombrant dans l’alcool, la drogue et bien d’autres déviances. L’idolâtrie leur a fait perdre la conscience de leur humanité, c'est-à-dire qu’ils sont voués au progrès, au plus être.

Zidane a fait craquer la peau que la société lui avait constituée. Par ce geste, il s’est fait homme. Il a donnée cette image d’un être avec sa part d’ombre avec des limites personnelles, l’éloignant ainsi de la sainteté qui peut-être étouffante.

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Sommes nous dans l’interprétation ?

Nous répondrons par une autre question. Pourquoi a-t-il tenté un geste aussi inconsidéré lors du penalty ? Quel risque ! Je rappelle qu’il a tenté une « panenka », nom donné à un type de penalty frappé plein centre à faible vitesse avec une trajectoire arrondie car les gardiens décident le plus souvent à l’avance de plonger d’un côté suivant la connaissance qu’ils ont des joueurs. Le tir de Zidane a finalement tapé la barre transversale et rebondit derrière la ligne de but. Il a tutoyé l’échec. En avait-il envie inconsciemment ? Que se serait-il passé s’il avait échoué ? L’opinion se serait scandalisée d’une telle prise de risque à un tel moment.

Nous pensons que Zidane s’est peut-être laissé aller par sentiment de frustration d’humanité à force de devoir correspondre à cette image lisse, à ce saint que le monde entier admire, à force de sentir les hommes l’idolâtrer, d’attendre de lui un geste, un regard pour après s’en vanter auprès de son entourage. « J’ai serré la main de Zidane ». Par ce geste, il force les hommes à porter un regard objectif sur l’homme et non pas d’attendre une bénédiction du pape du football.

 

Panenka Zidane vs Italie - Finale Coupe du Monde 2006

 

F UNE AMBIANCE SOCIALE DE SENS

 La frustration est un désir privé du pouvoir de le satisfaire. Elle s’exprime souvent dans un rapport à autrui. L’autre empêche et limite mon expression personnelle. Lorsque l’autre s’exprime, lorsque l’autre satisfait un désir, lorsqu’il se déplace vers un point, il peut me contrarier, me gêner. « l’enfer, c’est les autres », disait Sartre dans « huis clos ». En gros, c’est moi ou lui. Ce n’est pas moi et lui ou bien moi lui en moi ou moi en lui dans une participation à l’être. De ce fait, on aurait tendance à vouloir le détruire, le limiter, le bâillonner, empêcher son pouvoir être et sa capacité d’expression personnelle afin de ne plus être empêché dans la sienne. D’où l’usage de la violence. Bien que l’usage de la violence soit à proscrire, on peut estimer que l’émergence d’un sentiment agressif face à l’action malveillante d’autrui, soit saine. Le danger est de retourner son agressivité contre soi-même. Il y a à reconnaître qu’on a été castré dans son expression, dans son pouvoir être et qu’il est légitime de vouloir se défendre. Mais il existe d’autres moyens que la force physique. Mais n’y a-t-il pas lieu d’envisager les rapports humains d’une autre façon ?

Si on reste enfermé dans son égo, dans un désir narcissique d’exister, si on reste dans un désir de plaisir d’état, on sera toujours frustré par autrui, toujours avec un sentiment d’être une victime et d’être sujet à des excès d’agressivité contre autrui ou contre soi avec usage ou non de la force physique.

Notre société, le contexte dans lequel nous vivons, nous enferme dans les plaisirs d’état où il faut une satisfaction de plus en plus rapide de nos désirs. L’évolution technique tend vers le plus rapide et le moins d’effort physique et intellectuel.

Notre société enferme les individus dans leur égo, dans l’image qu’ils laissent aux autres. On a le sentiment d’exister uniquement si on est vu et valorisé par autrui. Qui n’est pas passé à la télévision ou bien n’a pas accédé à une certaine notoriété, est condamné à vivre dans le néant et ne peut qu’en être frustré.

Notre société enferme les individus dans la consommation et dans l’avoir. Si on a l’objet, on existe ou plutôt on en a une illusion. Si on ne l’a pas ou si on ne peut l’avoir, alors on est dans une atmosphère de sens de frustration.

De même, notre société rend la compétition frustrante car fondée sur une conception darwiniste c'est-à-dire de la sélection et de la lutte du fort contre le faible. La compétition est appréhendée comme une lutte contre autrui, comme enjeu d’existence contre la non existence. L’issue c’est l’être ou le néant. Dans ce cas, on risque un fort sentiment de frustration et donc des excès d’agressivité. La compétition en génère lorsqu’il y a des enjeux d’égo Notre société exacerbe ce sens. Regardez tous ces jeux télévisés basés sur l’exclusion et la sélection. Seul n’existe le vainqueur ou bien ceux qui sont sur le podium. Le perdant est toujours triste, abattu à regarder la joie du gagnant. Le vainqueur obtient toujours plus que le perdant : une coupe, des cadeaux, de l’argent, de l’admiration et de la considération par les médias.

                                             

N’y a-t-il pas un autre sens à faire valoir ?

Si on se situe au niveau de l’être, la compétition s’aborde aussi bien pour soi que pour autrui. A travers cette lutte, je recherche aussi bien mes progrès personnels que ceux d’autrui. Je vais pouvoir combler mes faiblesses qu’autrui aura mises en évidence et vis versa. Si on recherche la joie du progrès personnel et la découverte de la vérité de son être et de l’être, on verra des manœuvres déviantes d’autrui comme un désoeuvrement. Il fait fausse route. Il se perd. Il ne peut donc pas y avoir d’agressivité, seulement du dépit qu’autrui ne participe pas à son être et au mien.

Rentrer en compétition pour les progrès d’autrui et de soi, permet de libérer le pouvoir être et évite les défaillances liées à une blessure narcissique, à de la culpabilité, à un sentiment d’infériorité. Au moment où j’ai envie de baisser les bras, le fait de se dire qu’on a à se donner pour les progrès d’autrui en le poussant dans ses retranchements, permet de tenir son effort.

L’éthique de la compétition a une vocation ontologique. Elle a un sens fraternel. Elle n’est ni guerrière ni sélective. Animé par le sens ontologique de la compétition, tous les protagonistes ont accès à la joie que procure le plus être aussi bien dans la victoire que dans la défaite. Alors que dans la compétition centrée sur l’égo, la victoire sur autrui détermine un sentiment d’existence et la défaite un anéantissement et de la frustration avec des risques d’avoir recours à la violence.

Et Zidane dans tout cela ? N’a-t-il pas été mobilisé tout au long de sa carrière par l’éthique de la compétition ?

Mais on peut se demander si l’ambiance de sens n’a pas eu une influence sur elle. Tant qu’il pouvait s’inscrire dans une logique temporelle d’évolution temporelle, elle pouvait s’exprimer. Chaque situation s’inscrivant dans un avenir de plus être. Chaque évènement pouvant s’accepter et être dépassé parce qu’un demain allait venir. Mais là c’était le dernier jour de sa carrière et le jour d’une coupe du monde c'est-à-dire un moment sans lendemain. Il ne fallait pas se rater. Mais s’il avait été imprégné par cette éthique de la compétition, il n’aurait certainement « disjoncté ».

Ainsi, l’individu peut contrarier une ambiance sociale de sens qui est ici à l’origine du sentiment de frustration pouvant déterminer de la violence.

Après cette analyse, on est plus à même de le comprendre dans son geste violent. Un fort climat de frustration semble avoir fait pression sur sa capacité de contrôle personnelle. Mais on peut se demander pourquoi lui Zidane a lâché prise avec lui-même et pourquoi pas un autre ?

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