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De la tête aux pieds
21 janvier 2015

Enseigner et apprendre

Résumé

Notre recherche s’attache à mettre en évidence l’activité mentale d’un sujet engagé dans un processus d’apprentissage d’une technique corporelle. Elle utilise les concepts issus des travaux d’Antoine de La Garanderie qui a cherché à décrire les actes mentaux de la connaissance. Nos investigations ont montré que la gestion mentale par le sujet des trois temps d’un apprentissage moteur est l’élément fondateur du développement d’une habileté motrice. Cette connaissance de l’activité mentale oriente et organise les actions du professeur d’EPS. Ainsi, il sera en mesure:

  • - d’éclairer les élèves sur ce qu’ils peuvent faire mentalement pour apprendre une technique sportive et les y encourager.
  • - de structurer la séance entre temps d’action du professeur, temps d’activité mentale de l’élève, temps de pratique et temps de dialogue.

Cette reconnaissance de l’éducabilité cognitive dans le domaine de l’apprentissage moteur apporte à l’éducateur des moyens précis pour favoriser l‘autonomie.

 

 

L’articulation des responsabilités de l’élève et de l’enseignant dans la temporalité d’un apprentissage moteur

L’expérience nous montre qu’à niveau égal, certains élèves réussissent facilement à acquérir un nouveau savoir, alors que d’autres apprennent plus lentement ou rencontrent des difficultés. Au-delà du don et de l’effort, comment expliquer ces phénomènes ?

 

Dans le domaine de l’apprentissage des APSA, l’acquisition de techniques corporelles précises fait partie du parcours individuel. Dans les sports de combat comme le judo et le karaté, il existe un ensemble de techniques à savoir utiliser. Les katas en sont une illustration. En gymnastique et dans certaines danses, l’aptitude à reproduire des formes de corps est essentielle à la réussite.

Comprendre cette capacité peut être une aide précieuse pour la pédagogie, l’élève et le pédagogue. Aussi avons nous étudié ce phénomène naturel que l’on pourrait définir comme la capacité à reproduire le geste d’autrui. Nous nous sommes interrogés sur les facteurs clés qui favorisent l’apprentissage de modèles techniques, portant notre regard sur la responsabilité du sujet qui apprend. N’a-t-il qu’à regarder ou à écouter pour être en mesure de refaire ? La capacité à reproduire est-elle supportée par des structures cérébrales ? Il existerait des neurones miroirs qui nous rendraient aptes à imiter ; on parle même pour l’enfant de réflexe d’imitation. Mais les différences de performance dans cette capacité nous indiquent l’existence de facteurs individuels. Nous supposons donc la présence d’une activité mentale qui expliquerait l’aptitude à reproduire des formes de corps.

Pour sonder cette activité mentale, nous utilisons la méthode introspective d’Antoine de La Garanderie et ses principes qui guident ce qu’il appelle un « dialogue pédagogique ». Nous situons notre recherche sur la motricité dans le champ de sa théorie des actes mentaux de la connaissance, qui s’inscrit dans la volonté d’identifier les structures de la conscience cognitive au service du développement de l’élève.

Des dialogues pédagogiques avec une centaine d’élèves en situation d’apprentissage d’une séquence de multibonds mettent en lumière plusieurs phénomènes mentaux à l’œuvre dans la reproduction d’une technique. Ces phénomènes peuvent être décrits comme les structures de la responsabilité motrice de l’élève. Nous estimons que c’est à partir de cette responsabilité que s’articule celle de l’enseignant qui a, comme aurait pu le dire Alfred Binet, à connaître avant de prescrire. Quelles sont ces phénomènes observés ?

  1. 1) Les élèves les plus en réussite mettent en place des actes mentaux centrés sur la reproduction de la structure motrice. Ils la font vivre en eux dans le but de la reproduire, contrairement à ceux qui rencontrent des difficultés.
  2. 2) Différentes formes d’activité mentale peuvent mener à la maîtrise de la technique. On rencontre des personnes qui pensent en image et/ou en se parlant et/ou à l’aide de ressentis kinesthésiques. Ces habitudes mentales entraînent des besoins spécifiques sur le plan perceptif, et donc des difficultés si la pédagogie du professeur n’est pas adaptée.
  3. 3) Les trois temps de la motricité doivent faire l’objet d’une gestion mentale : le temps préparatoire à l’action, l’action elle-même, et la réflexion sur l’action :
    1. a. Le temps préparatoire est composé de deux temps distincts : l’activité perceptive qui se porte sur le modèle (démonstration et explication) ; et l’activité évocative que l’on pourrait définir comme une anticipation mentale du geste, sous la forme de paroles que la personne se dit elle-même, d’images visuelles d’elle-même ou du modèle et/ou de ressentis kinesthésiques. Nous avons observé chez les élèves de véritables allers-retours entre l’activité perceptive et évocative, pour s’assurer de la fidélité de leur évocation avec le modèle. Aussi demandent-ils souvent que l’on remontre ou que l’on réexplique. Les élèves en difficulté négligent le plus souvent cette activité évocative.
    2. b. Le déroulement de l’action elle-même est accompagné d’une activité mentale, contrôlante ou donneuse d’ordres, sous la forme d’injonctions verbales ou d’images visuelles. Là se pose la question du passage du verbe ou de l’iconographie à l’action, de l’extériorité à l’intériorité du mouvement, de la troisième à la première personne.
    3. c. Enfin, le retour sur les actions pour identifier les similitudes et les différences avec le modèle, afin d’identifier les causes des échecs et des réussites, est un authentique acte de réflexion au service de l’amélioration du geste ou de sa reproduction s’il a été réussi. Ici se pose la question de la comparaison entre un ressenti et une norme dans une perspective d’autoévaluation.
    4. 4) Ces actes mentaux existent en potentiel chez chacun. Antoine de la Garanderie parle ici de pouvoir être. 

L’observation des phénomènes mentaux nous amène à une réflexion sur la responsabilité et les actions de l’enseignant : que doit-il faire et quand ? Ses interventions se situent d’une part aux différents temps de la motricité précédemment décrits, par des démonstrations, des explications, des temps de silence accordés aux élèves pour évoquer, ainsi que par des temps de dialogue dans le double but de la prise de conscience par l’élève de ses moyens d’apprendre et de la mise en œuvre de sa responsabilité mentale. La responsabilité de l’enseignant s’effaçant progressivement au profit de celle de l’élève. Cette éducation cognitive amène alors l’enseignant à passer, en reprenant une formule de Heidegger, d’une sollicitude substitutive à une sollicitude devançante.

Bibliographie

Desmurget, Michel. (2006). Imitation et apprentissages moteurs : des neurones miroirs à la pédagogie du geste sportif. Marseille : Solal.

La Garanderie, Antoine. (1987). Comprendre et imaginer, Paris : centurion.

La Garanderie, Antoine. (1989). Défense et illustration de l’introspection. Paris : centurion.

La Garanderie, Antoine. (2004). Comprendre les chemins de la connaissance. Paris : chronique sociale.

Wynnikamen, F. (1990). Apprendre en imitant. Paris :PUF.

 

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