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De la tête aux pieds
1 septembre 2013

A quoi sert un sportif professionnel ?

Avoir un métier, c'est avant tout rendre un service dans une société donnée, à d'autres personnes qui sont des autres nous-mêmes. Le médecin soigne des maladies et des accidents physiques de la vie. L'épicier permet de trouver de quoi se nourrir en quantité et en qualité suffisante. L'enseignant favorise l'éducation et l'instruction permettant la conduite d'une vie dans un milieu social, économique et physique donné.

Contre les services qu'ils rendent, ces personnes reçoivent une rétribution leur permettant de bénéficier de services qu'ils ne peuvent satisfaire de façon autonome.

Depuis plus d'un siècle en Angleterre, et depuis les années 30 en France, le football a introduit la notion de professionnalisation dans le sport. A partir de 1984, avec les JO de Los Angeles, l'ensemble des disciplines sportives s'est professionnalisé. De ce fait, aujourd'hui le footballeur a un métier : jouer au football; le coureur, lui, c'est courir ; le joueur de golf, frapper dans des balles de façon très précise en direction d'un trou... Si on les interrogeait sur la nature de leur profession, ces sportifs pourraient répondre : taper avec le pied dans un ballon, courir autour d'un anneau, nager 2 longueurs de 50m, etc.

Mon propos peut paraître moqueur, mais je suis souvent effaré de la prétention de certains sportifs français qui méprisent les personnes qui les côtoient, qui les croisent, qui leur disent bonjour. Par leur comportement, ils donnent à penser qu'ils sont des surhommes, des dieux inaccessibles qui ne sont pas de la même espèce que les autres et que de ce fait ils peuvent manifester de l'indifférence.

Cela m'interroge sur les services qu'ils rendent à notre société, qu'ils me rendent en tant que citoyen...

Bien sûr, ils rendent des services politiques. Un chef d'état voit toujours sa côte de popularité monter lors des grands succès sportifs. La réussite sportive d'une équipe nationale donne à la population le sentiment de sa valeur et permet donc d'apaiser les sentiments de frustration personnelle. L'expression de l'agressivité dans l'enceinte d'un stade vis-à-vis de l'arbitre ou de l'équipe adverse permet d'acheter la paix sociale. Le sport remplit un rôle cathartique. Jean Marie Bröhm, sociologue du sport, considère que le sport est l'opium des peuples.

Les sportifs rendent également des services économiques. Le sport est la deuxième sphère économique du monde. Le peuple consomme du sport, sous forme de spectacle et de matériel sportif. Cela draine de nombreux emplois. La société marchande s'est emparée du sport. Le sportif professionnel, souvent comparé à un homme sandwich, fait vendre des biens de consommation.

Le sportif professionnel participe aussi au plaisir culturel de ses contemporains. Le match de football donne à voir du beau. On assiste à l'expression de l'intelligence en action, on est émerveillé par la beauté des corps et des gestes. On est pris par l'intensité du combat et des joutes comme dans une tragédie grecque, par l'incertitude de l'issue d'un match. On va au stade comme au théâtre. Le joueur de tennis est l'acteur d'une pièce qui n'est pas écrite mais il n'en demeure pas moins un artiste.

Si la fonction actuelle du sportif est indéniable, on peut se demander si le sportif français a conscience du service qu'il rend. Il donne l'impression qu'il est au service de son ego, qu'il cherche la gloire, l'argent et ce fait il oublie l'humilité, vertu essentielle pour accéder au plus haut niveau de pratique. Les Fédérer,  Nadal,  Zidane et autres grands champions d'exception ne sont pas des prétentieux qui ont besoin de se montrer autres qu'ils ne sont. Pour arriver au plus haut niveau, ils ont eu besoin d'être eux-mêmes pour progresser. Car leur virtuosité est le fruit d'un cheminement, d'un entraînement et d'une intelligence de leurs ressources, des adversaires et de leur sport. Ils ont dû développer de nombreuses vertus physiques et mentales. Ils ont trouvé des voies de développement qui sont accessibles à tous les hommes. Et je dis bien de développement. Je ne me situe pas sur le plan des performances. Moi qui mesure 1m80, il me sera très difficile de battre le record du monde du saut en hauteur (surtout à 45 ans), mais peut-être que le fait qu'un champion me renseigne sur sa façon de s'entraîner et d'aborder intérieurement les compétitions et ses ressources m'aiderait à battre mon record et de franchir 1m85. Même sur le plan de la performance, le champion peut encourager les autres à tenter  la même chose : s'il a réussi, c'est que je peux moi-même le faire. Prenons par exemple l'évolution des records. Le record du 5000m homme a tenu 13 ans de 1941 à 1954. De 1954 à 1957, il fut battu à 9 reprises par 5 athlètes différents. On peut se demander si Zatopek, en passant pour la première fois sous la barrière des 14 minutes, n'a pas montré une marche à suivre que 4 autres ont empruntée à leur tour. La cordée française emmenée par Herzog et Lachenal, qui a atteint pour la première fois un sommet à 8000m en 1950, a décomplexé le monde de l'alpinisme. Entre 1950 et 1960, 13 des 14 sommets à plus de 8000m ont été vaincus par différentes cordées. Est-ce que le livre d'Herzog a permis de libérer les initiatives ?

Ma collègue Julie Leverdez a eu la lumineuse idée de faire venir son frère Brice champion de badminton (28ème joueur mondial), son mari ( ancien 37ème joueur mondial) et deux autres internationaux dans notre établissement pour une démonstration  et des entretiens avec les élèves. Cette action a motivé un nombre impressionnant d'élèves à s'inscrire à l'association sportive et dans des clubs fédéraux. Il est aussi intéressant de noter qu'ils essayaient de refaire les smashs en suspension qu'ils avaient vus faire.

C'est sur le plan du témoignage de sa façon de se développer que réside la fonction essentielle du champion. Le service du champion est avant tout éducatif. Comment fait-il pour accéder au plus haut niveau ? Il peut m'éclairer sur moi-même, sur ce que je peux faire pour exprimer le meilleur de moi-même. Conscient de son rôle auprès de la population, il ne baissera pas la tête au moment où on le croisera sur un stade, il s'intéressera aux personnes qui l'entourent. Ce qu'il fait nous intéresse, on aimerait faire comme lui. Sentant que les moyens qu'il met en œuvre sont aussi en nous, une formidable motivation pour la pratique sportive  peut se faire jour dans nos consciences. Le témoignage de leur plaisir sportif et de leur vécu intérieur pourrait être un levier pour la pratique du plus grand nombre.

Sur un plan personnel, mon engagement sportif depuis mon plus jeune âge est issu de l'écoute des récits sportifs de mes oncles, de mon grand père, de mes amis, et des lectures des autobiographies des champions qui m'ont donné envie d'éprouver la joie du plus être, du dépassement personnel qu'ils avaient vécue.

 Les champions ont trouvé et découvert des voies humaines pour se faire homme, pour s'humaniser. Un des services qu'ils pourraient rendre est de venir à la rencontre de ceux qui sont en recherche au lieu d'offrir un visage de mépris. Mais pour cela, le sportif ne devrait-il pas s'appréhender selon la formule de Paul Ricoeur : « Moi-même tout comme un autre » ?

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Commentaires
M
Merci Raphael <br /> <br /> J'ajouterai que beaucoup trop de sportifs sont indécents et immoraux. Beaucoup se servent des réseaux sociaux pour gagner de l'argent ou gagner en notoriété. Tout le monde vante ses atouts corporels, se montre à travers les 4 coins de la planète, et suscite la frustration chez ceux qui sont gros, moches et pauvres! C'est une forme de prostitution, d'avilissement que de florir de ses atouts naturels aux dépends des autres<br /> <br /> Quelle petite humanité de leur part !<br /> <br /> Mais peut-on reprocher à quelqu'un qui n'a pas conscience ce dont il n'a pas conscience !?
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